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Ézéchiel conçoit Israël comme une pure théocratie, où il n’y aurait ni gouvernement civil, ni gouvernement militaire, ni armée, ni magistrature, ni politique. Comme tous les juifs à toutes les époques, il se trouve très bien d’un état de vassalité où le peuple de Dieu est dispensé des charges d’un état organisé, et libre de goûter à sa guise les promesses de Iahvé. La cité rêvée par Israël n’a de place au monde que comme fief intérieurement libre d’un grand empire, à la manière des communautés de raïas de l’islam. Il n’y a dans cette cité ni roi, ni service militaire. Si Ézéchiel, dans les premières années de la captivité, donne encore à son berger d’Israël le nom de David, sans indiquer clairement qu’il sera de la race de David, maintenant il ne l’appelle plus que nasi (prince). Le nasi a un domaine territorial et le droit d’apanager ses enfans ; il touche en outre des redevances, en retour desquelles il doit fournir les victimes des sacrifices publics. Les impôts arbitraires, à la manière de Salomon, lui sont absolument interdits. Quant à défendre Israël contre ses ennemis, Iahvé s’en charge, en traitant les peuples voisins d’une façon atroce. Le nasi a une place d’honneur dans les actes solennels du culte, une porte sacrée pour lui seul. C’est un roi de parade ; ce n’est nullement un prince temporel. Le grand-prêtre, qui, dans soixante ans, finira par l’emporter sur le nasi comme chef d’Israël, vaudra mieux, a beaucoup d’égards, que cette espèce de corregidor bâtard, pourvoyeur de victimes, figurant liturgique, ayant pour fonction presque unique de présider à un culte dont les ministres ne dépendent pas de lui.

L’organisation exposée par Ézéchiel est tellement idéale, qu’il veut que la terre-sainte recouvrée, dont il conçoit les limites d’après une géographie singulièrement complaisante, soit divisée symétriquement en parties égales et par zones rectangulaires allant de la Méditerranée au Jourdain, entre les douze tribus, qui n’existaient plus. Le domaine sacré et le domaine du nasi sont conçus comme des carrés à part. La ville capitale aura aussi son domaine. Elle sera neutre entre les douze tribus, comme une sorte de Washington, et constituée par des représentans de toutes les tribus, qui vivront dudit domaine. Les peuplades depuis longtemps incorporées à la nation, comme les Rékabites, les Qénites, les Calébites, y seront tout à fait fondues. L’esprit large et humain du Deutéronome se retrouve dans Ézéchiel, quand la colère nationale et le fanatisme puritain ne l’étouffent pas.

Le temple rêvé par Ézéchiel n’a de commun que les dispositions générales avec le petit édicule bâti par Salomon. L’a priori du prophète va à ce point que, par momens, son temple n’a pas l’air d’être à Jérusalem. C’est un casernement colossal situé au