Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traditionnelle fondée sur l’entente avec le saint-siège et la protection des catholiques, et puisse-t-elle la poursuivre en Chine aussi bien que dans le bassin de la Méditerranée ! Son patrimoine ne se compose pas seulement du territoire où s’étend l’action directe de son gouvernement. Un grand pays comme le nôtre doit compter à son actif son renom dans l’univers et la part d’influence à laquelle il peut légitimement prétendre. Dans ce domaine moral, il peut faire des pertes aussi sensibles que l’amputation d’une province, sinon plus sensibles, car elles sont plus difficilement réparables. Parmi les sources de notre influence, le protectorat religieux est la plus ancienne et peut-être la plus importante aujourd’hui. Y renoncer serait une faute dont la génération actuelle serait responsable devant la postérité, à qui elle est tenue de pas rendre la France moindre qu’elle ne l’a trouvée. Cet abandon serait, du reste, en contradiction directe avec les efforts que fait notre pays pour se répandre au dehors. L’époque où nous vivons marquera dans l’histoire générale comme étant celle où les peuples civilisés se sont partagé les dernières terres vacantes ou disponibles de notre planète. Dans ce partage, le gouvernement français n’a pas voulu se tenir à l’écart. En prenant sa part en Afrique et en Asie, il avait en vue l’avenir plus que le présent, car les entreprises de colonisation lointaine, celles même qui doivent être couronnées de succès, coûtent aux contemporains plus qu’elles ne rapportent. Il a pensé qu’un jour peut-être la race française recouvrerait les qualités d’expansion dont elle était douée encore au dernier siècle, et que, si ce jour arrivait, si notre commerce et notre marine marchande se développaient, la postérité ne lui pardonnerait pas d’avoir dédaigné les dernières conquêtes possibles. Ne serait-ce qu’en vue de cet avenir auquel on consacre tant de millions, le devoir s’imposerait à la France de conserver le protectorat religieux, qui ne lui coûte guère et qui fait du moins pénétrer dans les régions reculées quelque chose de l’esprit de la civilisation française, en attendant que nos commerçans y portent les produits matériels de notre industrie nationale.