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et peut-on regarder comme indépendant un état qui n’est qu’une apparence, qui ne subsiste que soutenu par vos soldats? Vous avez rempli au-delà vos obligations de Fille aînée de l’Église. La France, que vous venez d’exposer à des complications européennes en subordonnant ses intérêts à ceux de la cour de Rome, demande à être relevée du périlleux et dur service de gardienne de la papauté. » Le parti démocratique accusait l’empereur d’être intervenu au mépris du droit des populations et de faire une guerre de religion; il ne reculait pas devant les manifestations publiques, il criait sur son passage : « Vive Garibaldi ! à bas l’intervention ! » sans se préoccuper de la présence de François-Joseph, qui était notre hôte.

Le parti catholique n’était pas moins exalté, il ne savait aucun gré à l’empereur de l’assistance qu’il prêtait au saint-siège. Il blâmait ses hésitations, sa tiédeur, ses ménagemens pour l’Italie, son impatience du retour et surtout le projet d’une conférence qui laisserait la porte ouverte à toutes les solutions, même à celles qui dépouilleraient le saint-père. « Vous n’avez fait que votre devoir, disait-il, en accourant au secours du pape après l’avoir laissé dépouiller d’une partie de ses états. Il ne vous doit rien, car c’est moins pour lui que pour vous-même que vous êtes venu à son aide, c’est parce que vous avez des inquiétudes à calmer, des intérêts à ménager, des élections à faire. » Les passions religieuses se mêlaient aux passions politiques.

L’empereur était acculé : de quelque côté qu’il tournât les yeux, vers l’Italie ou vers l’Allemagne, c’étaient les mêmes difficultés résultant du même système de temporisation et de bascule. Les événemens le prenaient au dépourvu ou trompaient son attente. Ce n’était pas le désir de bien faire qui lui manquait, c’était la décision. L’irritation croissante des esprits, la violence passionnée et contradictoire des polémiques le jetaient dans les plus cruels embarras. Un parti défendait à tout prix le pouvoir temporel, un autre le regardait comme contraire à nos intérêts et à nos principes. Les catholiques demandaient qu’on sacrifiât l’Italie au pape, et les libéraux voulaient qu’on laissât à l’Italie, dans la question romaine, la plénitude de ses mouvemens.

L’entente directe entre Rome et Florence était la seule solution, mais la cour de Rome ne pouvait se décider à cette suprême démarche, elle ne se sentait pas tellement abandonnée à ses propres forces qu’elle se vit réduite à traiter avec son ennemi. Il s’agissait, pour le chef de l’église, d’être souverain indépendant ou de ne pas l’être, d’être roi ou sujet, et rien n’indiquait, si ce n’étaient les confidences, sujettes à caution, de Victor-Emmanuel à M. de Malaret, que Pie IX fût disposé à descendre « au rang d’aumônier de la cour