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un incident, peu important en soi, mais qui, ayant fait quelque bruit, mérite d’être rappelé.

J’ai parlé ci-dessus de ce sanctuaire du Petang, situé dans la ville impériale à Pékin, dont l’emplacement a été restitué aux missionnaires, en 1860, par l’entremise de l’ambassadeur de France. Grâce à la large subvention qu’ils ont reçue du gouvernement français, les lazaristes y ont construit un établissement considérable ; mais ils ont eu l’imprudence d’édifier une église de style européen, surmontée de deux hautes tours. Les Chinois ont une terreur superstitieuse des tours et des clochers qui ne sont pas bâtis suivant les règles d’une science puérile et mystérieuse qu’ils appellent le Fung-choui. Si vous leur demandez en quoi consiste le Fung-chouï, ils sont incapables de l’expliquer ; mais en fait il ne se construit pas en Chine une maison, surtout pas un tombeau, pour l’emplacement et l’orientation desquels on n’ait consulté des géomanciens, connaissant les courans des eaux et des vents, c’est-à-dire docteurs ès-Fung-chouï, — ce mot signifiant précisément vent et eau. Les tours du Petang contrevenaient aux prescriptions du Fung-chouï. De là un premier grief. D’autre part, elles s’élevaient assez haut pour que du sommet l’on pût plonger un regard profanateur dans l’enceinte sacrée du palais impérial, où nul ne peut pénétrer, sous peine de mort, s’il n’est convoqué par l’empereur ou s’il ne fait partie de son service. Les missionnaires durent faire constater par des mandarins du palais que le sommet des tours était inaccessible. Malgré cela, ces malencontreux clochers soulevèrent une si vive indignation que le Petang fut plusieurs fois menacé d’être démoli. M. de Rochechouart, ci-devant chargé d’affaires de France en Chine, dut aller coucher plusieurs nuits chez les missionnaires pour imposer aux Chinois. A la mort de l’empereur Hien-foung, la cour parut prendre son parti de ce voisinage désobligeant. Mais, tout dernièrement, l’impératrice régente a manifesté un vif désir de récupérer le terrain autrefois cédé par Kang-hi, afin d’y établir un jardin de plaisance, destiné, dit-on, à remplacer Yuen-min-Yuen, le Palais d’été brûlé par les Anglais, dont la reconstruction serait trop lourde pour la cassette impériale. Pour répondre au désir de Sa Majesté, des mandarins du palais allèrent s’aboucher avec un des lazaristes de Pékin. Ce religieux s’est cru fort habile en se retranchant derrière l’autorité du pape et en renvoyant la cour de Chine à se pourvoir à Rome. L’avis a été agréé et Li-hung-tchang a reçu l’ordre d’ouvrir des pourparlers avec le saint-siège. Le vice-roi Li, qui gouverne une province aussi peuplée que la France entière, est un personnage dont la large envergure intellectuelle frappe tous ceux qui l’approchent. Depuis la retraite du prince Kong, depuis que le père du marquis Tseng et