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méconnaissable. Il était sous la protection de la mission orthodoxe russe, qui, plus heureuse que les nôtres, avait pu se maintenir à Pékin, par la raison que, n’ayant presque pas de fidèles, elle ne portait ombrage à personne. Du reste, la Russie entretenait depuis le XVIIe siècle des rapports diplomatiques fréquens avec la cour de Chine. C’est par les soins pieux de la mission orthodoxe que fut enseveli le dernier prélat portugais, à qui succéda Mgr Mouly, comme vicaire apostolique. Ce dernier était comme toujours caché dans les environs de la capitale, quand le prince Kong l’envoya chercher pour lui servir d’intermédiaire avec l’ambassadeur de France dans les pourparlers relatifs à l’entrée des troupes à Pékin. C’est lui qui officiait lorsque le baron Gros fit chanter dans l’église du Nantang un Te Deum solennel, qui a marqué l’origine d’une ère nouvelle dans l’histoire des chrétiens de la Chine.

Le plus important des sanctuaires de Pékin était celui du nord, le Petang. L’histoire en est curieuse. La création du Petang remonte au temps où les jésuites français de Pékin jouissaient de toute la faveur de l’empereur Kang-hi. Les pères étaient presque tous les jours appelés à la cour, comme médecins, comme astronomes, comme mathématiciens, voire comme horlogers. Kang-hi, souffrant un jour d’un fort accès de fièvre qu’il avait contracté à la chasse, fut guéri au moyen de ce qu’on appelait alors la poudre des jésuites, le quinquina. Enchanté de sa guérison, il voulut témoigner sa reconnaissance par une marque de faveur tout exceptionnelle. Il donna à la mission française de la compagnie de Jésus un terrain situé dans la ville impériale, tout auprès de son propre palais. — Pékin se compose de deux grandes enceintes murées, contiguës, la ville tartare et la ville chinoise. L’enceinte tartare, qui a la forme d’un vaste parallélogramme, renferme le palais de l’empereur, situé à peu près au centre, entouré d’une forte muraille et d’un large fossé où croissent d’innombrables lotus. Ce palais, suivant l’usage asiatique, est une série de pavillons de dimension et de formes diverses, dont les toits jaunes aux coins relevés dépassent la longue ligne horizontale de l’escarpe. Les quartiers qui l’environnent, isolés par un autre rempart du reste de la cité tartare sont appelés la ville impériale ou ville jaune. La plupart des princes tartares y ont leurs demeures. C’est là qu’est également situé le Petang, séparé du palais par un lac artificiel où parfois l’empereur se donne pendant l’hiver la distraction du patinage. Admettre ainsi les jésuites à proximité de la résidence impériale, c’était les placer sous la protection directe de l’empereur. Cette haute faveur fut appréciée comme elle méritait de l’être, et le Petang devint aussitôt le chef-lieu des maisons religieuses de la capitale chinoise. Les pères