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traditions de la politique française pour négliger les missionnaires ; mais il ne put obtenir pour eux une reconnaissance officielle, ni même la permission de circuler dans l’intérieur pour y prêcher l’évangile. Cependant ils ne tardèrent pas à sentir les heureux effets des rapports établis entre les gouvernemens de Paris et de Pékin ; de plus, certaines dispositions, d’apparence générale, avaient été introduites à leur intention et tournèrent à leur profit. En premier lieu, dans les ports, alors au nombre de cinq, ouverts au commerce français, la liberté religieuse était garantie. D’autre part, un article spécifiait que, si des Français, quels qu’ils fussent, venaient à s’aventurer hors des limites des ports ouverts et pénétraient dans l’intérieur des provinces (ce qui était défendu en principe), ils pourraient être arrêtés par l’autorité chinoise, laquelle devrait les conduire au consulat français le plus proche. Les missionnaires se trouvaient par là soumis à la juridiction française, et, au lieu d’encourir la peine de mort, ils ne risquaient plus que d’être reconduits sur la côte. Certains missionnaires ont manifesté des regrets de l’immunité qui leur était consentie. C’est dans ce sens que s’exprime le père Huc, auteur d’un célèbre voyage en Thibet. M. Huc apprit à Tchengtou-fou, capitale du Sze-tchouan, le nouveau régime auquel les missionnaires venaient d’être soumis. « Si on demandait, dit-il, aux missionnaires qui évangélisent la Chine, au milieu des souffrances et des privations, ce qu’ils pensent de la peine de mort d’autrefois et de la triste situation qui leur est faite aujourd’hui, nous les connaissons assez pour être certain de leur réponse. » Ici le père Huc se trompe. Il est possible que de jeunes prêtres enthousiastes rêvent les palmes du martyre quand ils quittent leur famille et leur pays pour se vouer à la conversion des païens. Mais les hommes d’expérience qui ont connu l’existence que menaient, avant 1844, les missionnaires de Chine, toujours obligés de se cacher, toujours sous le coup d’arrestations arbitraires, d’emprisonnemens plus cruels que la mort, ces hommes reconnaissent tous que le gouvernement français d’alors a bien mérité de l’église. Ils savent, en effet, que dans un pays comme la Chine, le spectacle des persécutions risque trop de rapetisser les cœurs, suivant l’expression chinoise, au lieu de les grandir. Au surplus, je n’en veux d’autre preuve que l’accueil fait par les missionnaires de la Corée au traité France-coréen du 5 juin dernier. Ces malheureux et vaillans prêtres, qui ont vu la plupart de leurs confrères mis à mort par les mandarins, ont accueilli avec reconnaissance un régime qui, en attendant mieux, les soustraira du moins aux vexations des autorités, et, les plaçant sous la juridiction française, leur épargnera les terribles pénalités prononcées contre eux par les lois coréennes.