Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défense de partir avant le retour de deux jésuites envoyés par lui à Rome. A Macao, le malheureux prélat est gardé à vue par des soldats de sa majesté très-fidèle. Le supérieur des jésuites, se fondant sur les droits de la couronne de Portugal, refuse de reconnaître la juridiction de l’envoyé du saint-siège. Il est interdit et excommunié par le légat. L’évêque de Macao, en bon sujet de son roi, prend parti pour le supérieur. Il est excommunié à son tour. Pendant que ces lamentables événemens se déroulaient de l’autre côté de la terre, le pape récompensait le légat en lui conférant la pourpre cardinalice. Quand la nouvelle en parvint à Macao, les haines ne furent que plus ardemment surexcitées. Une surveillance toujours plus vexatoire était exercée par l’autorité portugaise autour du malheureux cardinal. Presque soumis au régime de prisonnier, il attendait toujours le retour des deux jésuites députes auprès du pape par l’empereur, et qui, pour comble de malchance, étaient morts en route. Le mauvais climat de Macao et son effet. Froissé dans sa dignité, ulcéré du sentiment de son impuissance, le cardinal de Tournon mourut après une courte maladie, en 1710. Les gens toujours nombreux qui n’aiment pas à attribuer les choses aux causes les plus simples répandirent le bruit que le cardinal avait été empoisonné par les jésuites. Ce fut un grand scandale dans le monde entier. Des libelles diffamatoires, des pamphlets injurieux circulèrent en Europe. Quelques années plus tard, le chapeau du cardinal de Tournon ayant été donné à un jésuite, un poète anonyme épanchait dans les vers suivans l’indignation débordant de son cœur :


Les fils de Loyola Tout conduit au tombeau,
Il doit à leur fureur la palme du martyre,
Un jésuite complice a reçu son chapeau.
Je n’y trouve rien à redire,
La dépouille appartient au valet du bourreau !


Cette affaire des rites avait porté aux missions de Chine un coup dont elles ne se sont pas relevées. La bulle Ex illa die, qui est la confirmation officielle des condamnations prononcées dans le mandement de Nankin, causa à l’empereur Kang-hi une irritation profonde. Un grand désordre continuait de régner parmi les missionnaires. Pour y mettre fin, le saint-siège décida, en 1719, l’envoi d’un nouveau légat, M. Mezzabarba. Celui-ci, plus avisé que M. de Tournon, passa par Lisbonne, afin d’y faire reconnaître sa qualité, — ce qui lui valut un accueil enthousiaste à Macao, où d’ailleurs son premier soin fut de lever toutes les