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compris que le seul moyen d’acquérir de la considération dans l’empire du Milieu, c’est d’y apporter les seules preuves de notre supériorité intellectuelle qui ne puissent pas être contestées, c’est-à-dire des connaissances scientifiques nouvelles. Ceci est encore vrai de nos jours. Les Chinois, fiers avec raison de leur antique culture nationale, ne croient avoir rien à apprendre de nous en matière de politique (qui oserait leur en faire un reproche ? ), de morale, ou, à plus forte raison, de religion. Ils méprisent nos jeunes civilisations et nous tiennent volontiers pour des barbares, sauf au point de vue des sciences exactes et de leurs applications. C’est par la science, comme astronomes, comme mathématiciens, comme géomètres, que les jésuites ont fait si grande figure à Pékin. La religion profitait tout naturellement de leur haute situation à la cour, et il est probable que, grâce à eux, le catholicisme compterait aujourd’hui dans ses rangs une fraction importante de la population de l’empire, si des dissentimens à jamais regrettables ne s’étaient produits entre les missionnaires.

Les jésuites, toutes les fois qu’ils ont été appelés à évangéliser des peuples étrangers, — que ce fût en Amérique ou en Asie, — ont toujours cherché à ne heurter que dans la mesure strictement exigée par la foi chrétienne les croyances et les pratiques locales. En Chine, ils se sont bornés à proscrire les pratiques bouddhiques ou taoistes, pour lesquelles les lettrés n’avaient pas plus de respect qu’eux-mêmes, et ils ont toléré, en les interprétant, certains des usages qui tiennent le plus au cœur à tous les Chinois, comme les cérémonies en l’honneur des ancêtres. Ils ont admis, en outre, qu’on pouvait être chrétien tout en prenant part aux hommages officiels rendus à la mémoire de Confucius, le sage moraliste dont les enseignemens ont si profondément imprégné l’âme chinoise. Ils ne voyaient non plus aucun inconvénient à désigner le Dieu des chrétiens avec le terme même dont on se sert en Chine pour désigner l’être suprême, placé si haut dans l’esprit de tous que l’empereur seul a le droit de lui rendre hommage. Ces concessions, inspirées peut-être par des considérations d’ordre politique plus que par une rigoureuse théologie, permettaient de poursuivre l’œuvre de propagande sans blesser ni les lettrés, ni la cour. Les résultats de la prédication de l’évangile furent surprenans. Vers 1700, des chrétientés florissantes existaient dans presque toutes les provinces, les églises se multipliaient. Mais les tolérances des jésuites furent dénoncées à Rome ; leur indulgence pour les rites chinois fut taxée d’hérétique par leurs rivaux, à la tête desquels marchaient leurs vieux ennemis les dominicains. Le pape Clément XI se prononça contre la compagnie de Jésus dans une bulle du à novembre 1704.