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traditionnel, a sa ceinture de mers. Le chancelier autrichien a parlé en ministre d’un empire qui, par sa position, par ses frontières, est au premier rang dans tous les conflits et qui n’a pas d’ailleurs cessé d’être, au moins en apparence, dans une sorte d’alliance intime avec la Russie sous l’égide de l’Allemagne.

Le comte Kalnoky a gardé une suffisante réserve dans ses explications et il a tourné habilement autour des difficultés. Il en a pourtant dit assez pour laisser entrevoir les préoccupations et les idées du cabinet de Vienne, pour sauvegarder l’indépendance de sa politique en précisant la position et les intérêts de l’Autriche dans tous ces conflits orientaux. Il n’a pas caché, par exemple, que, si la Russie avait envoyé un commissaire pour prendre le gouvernement de la Bulgarie, si elle avait occupé des villes du littoral ou de l’intérieur, l’Autriche n’aurait pu rester insensible à l’intervention étrangère dans les Balkans, à l’occupation de Varna ou de Bourgas, qu’elle aurait dû « prendre position dans la question ; » il a seulement atténué cette déclaration hypothétique en ajoutant que « le danger était pour le moment à peu près écarté. » Le ministre autrichien, un peu pressé par le comte Andrassy, interprète des susceptibilités hongroises, s’est assez nettement expliqué sur quelques points essentiels, sur le caractère européen et les garanties du traité de Berlin, sur la nécessité de maintenir intacte dans tous les cas l’autonomie bulgare ; il n’a point hésité à déclarer qu’on entrait probablement dans une période de négociations difficiles où la Russie n’avait pas plus de droits que les autres puissances pour décider de ce qui serait fait dans les Balkans. Il est allé plus loin en parlant, lui aussi, un peu vivement du général Kaulbars et de sa mission et de son « action désagréable en Bulgarie, « en ajoutant que le seul résultat de cette mission avait été de u rendre l’opinion publique de l’Europe plus favorable à la nation bulgare. »

Bref, le comte Kalnoky en a dit assez pour que ses paroles et ses déclarations, si mesurées qu’elles soient, si réservées qu’elles aient été à l’égard du gouvernement russe, n’aient pas été peut-être beaucoup mieux accueillies à Pétersbourg que les paroles de lord Salisbury. Il en a surtout dit assez pour montrer ce que valent en définitive ces alliances d’ostentation dont on se plaît à offrir de temps à autre le spectacle à l’Europe. Depuis quelques années, l’Europe a eu périodiquement la représentation un peu fastueuse de ces rencontres des trois empereurs, tantôt à Skierniewice, tantôt à Kremsier. Ces entrevues de souverains, au moment où elles se sont accomplies, répondaient sans doute à quelque calcul de celui qui les provoquait ; elles ne changent ni les situations ni les conditions générales de la politique, et toutes ces combinaisons artificielles qui n’ont le plus souvent qu’une raison de circonstance, même quelquefois une raison intime et personnelle,