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a en l’air de voir ses meilleurs amis dans ceux qui n’ont cessé de lui créer des difficultés. Il a commencé par innocenter tous ces votes qui détruisent les crédits de l’état, par reconnaître tout ce qu’il y avait de louable dans cette passion d’économies qui régnait dans la chambre : à quoi la commission du budget s’est hâtée de répondre que, puisqu’il en était ainsi, puisque le gouvernement ne voyait aucun inconvénient à laisser réduire les dotations des services publics, il n’y avait plus à se gêner. « Nous mêlerons nos votes à ceux de nos collègues, — les radicaux, — qui vous applaudissent, » a dit M. Rouvier un peu ironiquement à M. le président du conseil, — et la grande opération des économies a recommencé de plus belle. Le massacre des innocens, c’est-à dire des crédits de l’état, a repris son cours. C’est tout au plus si l’inspection générale des finances, que M. Sadi-Carnot a appelée « l’œil de l’état, » si la cour des comptes, la cour de cassation, ont échappé à une mutilation. On a eu un dernier scrupule, on a hésité à toucher par un vote budgétaire à ces grandes institutions créées par des lois organiques.

Il faut aller au fond des choses. Le secret de cette situation, c’est qu’il n’y a pas de gouvernement, et cette vérité, elle est sentie, elle est avouée par ceux-là mêmes qui ont contribué au mal, comme elle est signalée depuis longtemps par tous ceux qui suivent avec désintéressement, avec une généreuse inquiétude, le progrès de la désorganisation publique. — Il faut ici un gouvernement, disait à peu près l’autre jour M. Rouvier à M. le président du conseil. — Mais gouvernez donc ! lui dit-on d’un autre côté. C’est le cri qui s’échappe de toutes parts. Nous assistons à ce qu’on peut appeler une éclipse totale de gouvernement, — et si M. le président du conseil ne gouverne pas comme on le lui demande, s’il ne peut pas gouverner, c’est qu’il s’est créé une situation où il est sans force et sans autorité pour imprimer une direction aux affaires de la France, pour éclairer et conduire cette majorité incohérente qui lui échappe sans cesse. M. le président du conseil a entrepris de résoudre le problème de se placer dans une position où, avec des apparences de modération personnelle, il est réduit, pour vivre au pouvoir, à toutes les concessions, à toutes les connivences révolutionnaires. Il se croit obligé, sous prétexte de concentration républicaine, à être le plus aimable allié des radicaux, et par le fait il est le chef d’un ministère plus qu’à demi radical. Il est toujours prêt à donner des gages en action ou tout au moins en paroles. Faut-il expulser les princes, il ne refusera certainement pas cette satisfaction au radicalisme. S’agit-il des libertés les plus précieuses, de la liberté du père de famille, de la liberté municipale, il laissera M. le ministre de l’instruction publique soutenir et faire voter cette loi sur l’enseignement primaire qui constitue