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Si Moffat dut renoncer à convertir le chef des Motabelis, l’affection, la confiance que lui témoignait le petit troupeau de Betchouanas qui fréquentait son église et son école le consolèrent amplement de son mécompte. A la vérité, il eut ses jours de doute, de découragement profond. Il avait vu plus d’un converti retourner à ses fétiches, à ses vieux vices héréditaires, à son impur vomissement, comme parle l’écriture. Il arrivait aussi que, dans des temps de sécheresse, ses catéchumènes recouraient comme jadis aux bons offices du sorcier qui appelle la pluie, et, pour surcroît de malheur, quand le sorcier l’appelait, la pluie venait quelquefois. Mais Robert Moffat se remettait bien vite de ses abattemens. Il ne disait pas, comme un célèbre voyageur : « En Afrique, il faut se méfier de tout le monde et de toute chose. » Il avait ce fonds d’optimisme nécessaire à tout homme d’action ; le moyen de rien faire quand on ne croit pas à ce qu’on fait ?

Durant un demi-siècle, il savoura, comme il le disait lui-même, « le bonheur de réciter à des âmes neuves le vieux conte de l’amour divin. » Ce ne fut pas sans regrets qu’à l’âge de soixante-quinze ans, sentant décliner ses forces, il quitta à jamais la Cafrerie et ses ouailles pour aller mourir en Angleterre. Sa mission avait fait quelque bruit dans le monde. A Londres comme à Manchester, il fut accueilli, honoré, fêté. On admirait son mâle visage, brûlé par le soleil d’Afrique, sa longue barbe grise, aussi hérissée que touffue, ses grands yeux noirs qui avaient contemplé de près sans terreur des faces de rois caftes et la caverne des lions. « Robert Moffat vient de mourir, écrivait au mois d’août 1883 un journaliste de Brighton. Ce vieux pionnier dans le champ des missions était le plus simple, le plus ingénu des héros. Quiconque l’approchait se sentait en présence d’un grand homme. » Non, Robert Moffat n’était pas un grand homme, mais c’était un homme de cœur, que son idée avait conduit au bout du monde et qui ne demandait qu’à mourir pour elle.

On peut admirer l’héroïsme, les vertus, les souffrances volontaires d’un homme de cœur qui, un demi-siècle durant, évangélise les Betchouanas à ses risques et périls, et douter en même temps de l’efficacité de sa prédication. Dès les premiers jours de son apostolat, Moffat s’était imposé la tâche de traduire la Bible en setchwana. Il consacra de longues années à ce pénible labeur, et ce fut assurément la plus héroïque de ses entreprises. Il dut inventer un alphabet, une écriture pour rendre tant bien que mal les sons et les claquemens d’une langue qu’on n’avait jamais écrite ; il déclarait lui-même que ce dur travail avait fini par lui ébranler le cerveau, par lui brouiller l’esprit. Il ne songea pas un instant à se demander s’il est possible de traduire la Bible en setchwana, si ce genre de traduction n’est pas la pire des trahisons. Il ne mit pas non plus en question si la théologie