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Les Betchouanas du Kuruman unirent par se convaincre que l’homme blanc était un précieux voisin, aussi utile qu’obligeant ; ils l’avaient supporté, ils s’attachèrent à lui. Pendant ce temps ; il étudiait leur langue à la sueur de son front. Un géographe a dit que la langue hottentote se distingue de toute autre par ses quatre claquemens, dont l’un ressemble au bruit d’une bouteille de vin mousseux qu’on débouche, une autre au clac par lequel on excite un cheval ; les deux autres ne ressemblent à rien. Les Betchouanas sont de beaux Cafres au teint cuivré ; quoiqu’ils méprisent les Hottentots, ils leur ont emprunté trois de leurs claquemens, et leur langue est difficile à apprendre, difficile à parler. Pour en pénétrer tous les secrets, le zélé missionnaire se mêlait à leurs fêtes, à leurs concerts, à leurs bals, à leurs cérémonies étranges, qui révoltaient sa conscience, et il offrait à Dieu ses scandales en sacrifice agréable. Quand il sut le setchwana, il put prêcher, catéchiser. Il n’obtint d’abord que de médiocres succès ; mais il était persévérant, saintement obstiné, il avait une patience d’ermite. Il était convaincu que toutes les grandes choses ont de petits commencemens, qu’il ne faut jamais se rebuter, que, grain à grain, la poule finit par se nourrir.

La méthode des conversions individuelles est lente et laborieuse ; elle n’a de charmes que pour les missionnaires très croyans, très consciencieux. Plus rapide, plus attrayante est la méthode des conversions en bloc, qui consiste à circonvenir adroitement un chef de tribu, à s’emparer de sa confiance, à lui persuader qu’il trouvera son avantage à faire baptiser d’autorité tout son peuple, comme Clovis fit baptiser ses Francs. Le missionnaire devient le conseiller de Clovis et gouverne en son nom. Le consciencieux Moffat préférait la première méthode, et il n’arriva jamais à ces résultats étonnans qu’ont obtenus en d’autres lieux certains de ses confrères. Il n’a jamais eu la joie de rassembler un peuple entier dans son bercail, il n’a pas connu les douceurs, les ivresses de la royauté spirituelle. Il essaya pourtant de convertir un grand chef. Il s’attaqua au terrible Mosilikatsé, souverain des Motabelis, affreux despote qui versait le sang comme de l’eau. Cet homme de proie l’avait pris en goût, lui prodiguait les prévenances, les attentions, les caresses ; ses peuples, étonnés de ce grand attachement, l’attribuaient à l’action mystérieuse d’un charme, d’un philtre ou d’une incantation. Moffat se flatta plus d’une fois de tenir le chef des Motabelis ; mais, au moment décisif, Mosilikatsé se dérobait. La diplomatie est un art cultivé avec passion par les chefs africains ; ils excellent dans la science des subterfuges, des défaites, des habiles échappatoires. Ils s’amusent pendant des années à entretenir dans le cœur d’un missionnaire de savoureuses espérances qu’ils sont résolus à tromper toujours. Ils tournent autour de la nasse, ils n’y entrent jamais, et le pêcheur d’âmes en est pour ses frais d’amorces.