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nécessaire de nous apprendre qu’un soir de l’art 1882, le vénéré vieillard, assistant à une cueillette de pommes qui n’étaient pas encore tout à fait mûres, prononça à ce sujet cette parole mémorable : « Nous ne devons pas oublier d’envoyer quelques-unes de ces pommes à M. Stacey. » Mais il faut pardonner aux Anglais leur amour excessif du détail, il faut excuser un hagiographe de croire que tout est digne de mémoire dans la vie de son saint, et les exagérations de la piété filiale ont quelque chose de touchant qui désarme la critique.

Malgré ses défauts, ses lacunes et ses longueurs, cette biographie mérite d’être lue. Elle nous fait connaître un homme remarquable, qui unissait à la candeur de la foi l’héroïque courage des entreprises, un de ces bommes qui se donnent tout entiers à leur œuvre, et les hommes capables de se donner sont rares. Cet Écossais d’obscure origine, jardinier de son état, avait eu une dure enfance, dont les sévérités le préparaient de loin aux rudes labeurs de son apostolat. Il avait appris le maniement de la binette et les secrets de la greffe sous l’exacte discipline d’un maître qui n’avait pas le cœur tendre. On le nourrissait mal, et, dans les nuits les plus rigoureuses d’un hiver écossais, il était sur pied dès quatre heures ; pour rendre quelque sensibilité à ses pauvres doigts perclus, morts de froid, il en était réduit à frapper de grands coups contre le manche de sa bêche. Mais sa santé était aussi robuste que sa volonté était tenace. Taillé en athlète, il excellait dans tous les exercices du corps, et, né curieux, il employait ses loisirs à étudier le latin, l’arpentage et le violon. S’il ne fut jamais un grand latiniste, il devint un excellent menuisier, un habile forgeron, et tout ce qu’il avait appris dans sa jeunesse lui servit chez les Betchouanas.

Parmi nos voisins d’outre-Manche, les uns ont une religion fort tranquille, qui se contente de froides pratiques, exactement, mais froidement observées ; les autres n’ont de goût que pour cette dévotion romanesque et orageuse, inventée au siècle dernier par John Wesley, dont l’éloquente prédication arrachait à son auditoire des sanglots convulsifs, excitait des tempêtes de larmes et de soupirs. Pour être un vrai converti selon le cœur de Wesley, qui enseignait à ses disciples la physiologie de la conversion, il faut se sentir perdu, damné, et après avoir savouré en quelque sorte tous les supplices de l’enfer, entendre tout à coup la voix qui appelle, qui console, acquérir la certitude d’un salut inespéré, fruit d’une grâce divine. Robert Moffat, devenu sous-jardinier de M. Leigh dans le comté de Chester, fut mis en rapport avec de pieux méthodistes, et il eut bientôt, lui aussi, sa crise, Bon drame, son roman : « Une nuit, je m’éveillai d’un rêve affreux, et je me trouvai comme plongé dans une indicible horreur. Je me sentais perdu, absolument perdu, et je ne pouvais prier. Je me laissai tomber sur mes genoux, et il me sembla que mes péchés pesaient sur