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une Résurrection. En même temps il pense à renouer avec les Farnèse, dans l’intérêt de ses fils, ses relations longtemps interrompues, mais, cette fois encore, il en est avec eux pour ses frais. Plusieurs envois de tableaux ne lui valent que des lettres charmantes et des promesses irréalisées. C’est toujours, en somme, Philippe II qui lui reste le plus bienveillant et le plus secourable, malgré les grands soucis politiques dont il est de jour en jour plus accablé. Le roi de France, Henri III, passant à Venise dans le mois de juin 1574, et visitant l’atelier de Titien, y put voir une Allégorie de la victoire de Lépante, récemment terminée pour le roi d’Espagne. Les deux dernières lettres que nous possédions du maître, l’une du 25 décembre 1575, l’autre du 27 février 1576, sont adressées à Philippe. A l’époque où fut écrite la dernière, la peste sévissait déjà à Venise ; un quart de la population y fut enlevé en six mois. Titien et Orazio ne voulurent pas cependant quitter leur atelier ; le 27 août, ils y furent frappés ensemble. Le père mourut quelques heures avant le fils ; il allait atteindre sa centième année. Malgré la terreur qui planait sur la ville, les conseils du gouvernement, convoqués sur-le-champ, décidèrent qu’il y avait lieu, pour un si grand homme, de déroger à tous les décrets sanitaires. On ensevelit son corps sans tarder, mais avec grande pompe, dans l’église Santa-Maria de’ Frari, en plein cœur de la ville, au lieu de le faire brûler dans les îles.

Les puissans de la terre avaient donc, jusqu’à la fin, manifesté pour le grand peintre leur admiration et leur déférence par d’exceptionnelles faveurs. L’influence qu’eurent tour à tour sur son génie la protection des doges et celle des princes étrangers est visible dans toute son œuvre. Qu’il nous suffise ici de constater que si, d’une part, son titre de peintre de la république lui fournit l’occasion de se manifester au palais ducal, comme peintre d’histoire et de batailles, dans deux grandes compositions malheureusement anéanties par l’incendie de 1577, sa qualité de peintre des ducs de Ferrare et d’Urbin, de Mantoue, de Farnèse et de la maison d’Autriche, lui permit de développer son génie avec une liberté extraordinaire dans les deux genres où il est resté un maître incontesté, le portrait et la composition plastique. Titien, ne travaillant qu’à Venise et pour Venise, n’eût fait sans doute que continuer, avec plus d’ampleur et plus d’éclat, la carrière des Bellini. La plupart de ses peintures auraient été des peintures de piété. Certes, quand il s’y mettait, il y excellait, et ce n’est pas là qu’éclate le moins l’incroyable souplesse de son habileté vigoureuse. L’Assomption, la Vierge des Pesaro, la Mise au Tombeau, la Mort de saint Laurent, ont eu sur les destinées de la peinture religieuse une longue