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son image à Covos. Celui-ci, en le remerciant, lui assura avec impudence qu’il ne se gênerait pas pour lui demander d’autres peintures dans le cas où il en aurait envie. Quelques jours après, Covos montra à Casella le tableau suspendu dans la chambre de l’empereur : « Hein ! qu’en dirait le pape ? lui fit-il. — Il s’en chagrinerait peut-être, répondit le diplomate, mais moins que de savoir l’image de mon maître gravée dans le cœur de l’empereur. »

Titien, heureusement pour lui, avait toute la souplesse nécessaire pour manœuvrer dans ce milieu d’intrigues, bien qu’il s’y déplût fortement, aimant par-dessus tout le travail de l’atelier dans sa maison paisible. Charles-Quint le prit vite en affection et le traita avec des égards qui auraient excité davantage les jalousies si le peintre n’avait su séduire tout le monde par ses excellentes manières, son affabilité inaltérable, sa conversation enjouée. Les contemporains sont unanimes à faire son éloge sous ces rapports et à le représenter comme un parfait gentilhomme : « À sa merveilleuse excellence en peinture, dit Dolce, il joint beaucoup d’autres qualités estimables. D’abord, il est très modeste, il ne médit jamais d’aucun peintre, il parle volontiers et honorablement de tous ceux qui le méritent. Ensuite, c’est un très beau parleur, d’esprit et de sens parfaits en toutes choses, d’un naturel aimable et doux, très affable et tout plein de manières nobles ; qui lui parle une fois, s’en éprend pour toujours : che gli parla una volta é forza che se innamori per sempre. » L’Arétin, qui ne se piquait point de si belles manières, se moque quelque part de son compère, lui reprochant de les conserver même avec les dames de Venise les moins faites pour inspirer du respect. « Ce qui m’émerveille en lui, c’est que chaque fois qu’il en rencontre, ou qu’il se trouve près d’elles, il les courtise, il les amuse par mille badinages de jeune homme, sans aller au-delà… Nous devrions bien nous corriger par son exemple ! »

Dès ce premier séjour à Bologne, Charles-Quint posa plusieurs fois devant le peintre. Beaucoup d’artistes avaient déjà sollicité cette faveur sans pouvoir l’obtenir, entre autres, Alfonso Lombardi, le sculpteur, qui voulait faire son buste. Ne sachant comment y parvenir, Lombardi supplia Titien de l’emmener un jour avec lui chez l’empereur, comme s’il était son domestique chargé de porter ses couleurs. Titien, « en homme très courtois qu’il fut toujours, » dit Vasari, n’osa pas s’y refuser. Dès que le peintre fut devant son chevalet, Lombardi se plaça derrière lui, et, cachant dans sa main une petite boîte de la grandeur d’une médaille, y modela en cire le profil de l’empereur, qu’il acheva juste au moment où Titien finissait son travail. Ce manège n’avait point échappé à l’empereur, qui, se levant, s’adressa à Lombardi ; celui-ci avait