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patienter les hommes, qui se repaissent au moins de la certitude des promesses. » Dans ce voyage de Bologne, Titien put faire l’épreuve de ce système. On lui offrit d’abord le titre de garde des sceaux, bien que cette place fût, depuis la mort de Léon X, occupée par Sébastien Luciani (d’où son surnom del Piombo) à la charge de servir à un autre peintre, Jean d’Udine, une rente de 80 ducats. Sébastien et Jean d’Udine étaient deux amis de Titien. Celui-ci repoussa sans hésitation cette proposition indélicate. On fit alors de nouveau miroiter devant ses yeux l’espoir d’un bénéfice pour son fils. Cette fois, on lui vendait encore une peau d’ours vivant. La sinécure en vue, l’abbaye de San-Pietro-in-Colle, près de Ceneda, était bel et bien occupée par Sertorio, archevêque de San-Severino, qui ne voulait l’abandonner que contre bonne et immédiate compensation. Des négociations laborieuses, à ce sujet, suivaient déjà leur cours lorsque le cardinal Alexandre, pris d’un accès de fièvre, quitta précipitamment Bologne sans même prévenir Titien. Ce contretemps bouleversa le peintre. Il écrivit franchement au cardinal : « Le départ subit de Votre Seigneurie Révérendissime m’a donné la plus mauvaise nuit que j’aie jamais passée de toute ma vie… » Il est vrai que le matin même, le secrétaire du cardinal, Maffei, venait lui affirmer que la cession de l’abbaye était chose faite, qu’il n’y manquait plus que la rédaction des pièces. L’affirmation était mensongère. Durant toute l’année 1544, on voit, en effet, le père entêté mettre en campagne divers amis pour rappeler aux Farnèse leurs promesses, l’Arétin, Gualteruzzi, le secrétaire du cardinal Bembo, Bembo lui-même et jusqu’au farouche Michel-Ange. C’est en désespoir de cause qu’il s’était décidé à partir pour Rome.

Le pape et ses fils, à son arrivée, s’efforcèrent, par leurs caresses, de lui faire oublier ces récens déboires. On l’installa au Belvédère, où il se mit à travailler avec son activité habituelle. Il y commença d’abord cette peinture hardie du Musée de Naples, dans laquelle le vieux pape, assis près du cardinal Alexandre, se retourne, par un mouvement brusque, vers son petit-fils Ottavio, qui, son bonnet à la main, s’incline en le saluant avec une feinte humilité. Le visage du pape, fatigué, inquiet, contracté, trahit l’impatience et la colère, celui d’Ottavio est plein d’une astuce hypocrite et sinistre. Nous assistons à une des scènes de famille fréquentes alors entre le grand-père et le petit-fils qui ne cessait de conspirer contre son propre père, Pier-Luigi. Vasari dit que ce tableau fut exécuté à la grande satisfaction des intéressés. On a quelque lieu d’en douter, car il est resté à l’état d’ébauche. Dans le même temps, Titien faisait divers portraite, un Ecce Homo qui n’eut pas grand succès, (et la célèbre Danaé, qui, au contraire, excita l’enthousiasme de tous les connaisseurs et désarma, par la splendeur de ses formes et l’éclat de son coloris,