Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manque quelque chose, j’irai volontiers à Nivolara pour le rajuster, mais je crois que ce ne sera pas nécessaire. »

Le peintre avait de sérieuses raisons pour hâter son départ. Non-seulement il arriva à Venise assez souffrant, au dire de l’ambassadeur Agnello, que le duc lui dépêcha tout de suite pour savoir de ses nouvelles et lui remettre de l’argent, mais il trouva sa femme Cecilia dans le plus triste état. Quelques semaines après elle succombait à son mal. C’est encore par une lettre d’Agnello à son maître, du 6 août 1530, que nous connaissons la date de ce malheur, qui frappa cruellement le peintre. Agnello, qui va fréquemment le voir, constate, pendant plusieurs mois, qu’il a grand’peine à se remettre au travail. Cecilia laissait à son mari trois enfans, Pomponio, Orazio, Lavinia, tous en bas âge. Titien fit immédiatement venir de Cadore sa sœur Orsola, qui dirigea dès lors son intérieur et qui ne le quitta plus. Il abandonna la maison de San-Samuele, appartenant à la république, où il avait passé les quinze plus fécondes et plus heureuses années de sa vie, et loua, à l’extrémité de la ville, dans le quartier perdu de Biri-Grande, mais au milieu d’un grand jardin, devant la mer, en face des montagnes natales, une maison récemment bâtie par les Polani. A partir de ce moment, toute son ambition se tourne du côté de ses enfans. Avec la suite et la patience qui le distinguent en toutes choses, il met à profit toutes ses relations anciennes et il en recherche sans cesse de nouvelles, en vue de leur procurer le bien-être et de leur assurer un brillant avenir ! Cette passion paternelle devait être bien mal récompensée dans l’aîné, Pomponio, qu’il destinait dès lors à l’état ecclésiastique et pour lequel, malgré son jeune âge (il avait cinq ans ! ) il sollicitait déjà du duc de Mantoue une abbaye à Medole. Le 27 septembre, Agnello écrit que Titien, toujours mal portant, vient de lui avouer que, pour guérir vite, il lui faudrait recevoir la nouvelle de cette concession, « car son indisposition vient surtout d’une humeur mélancolique. » Pendant toute l’année qui suit et durant laquelle Titien peint pour le duc plusieurs toiles, entre autres cette « Madeleine » qu’on lui avait demandée « aussi larmoyante que possible, » ce ne sont, de sa part, à tous propos, que nouvelles sollicitations et nouvelles lamentations au sujet de cette abbaye. L’impudence de l’Arétin et la servilité de la cour espagnole déteignaient dès lors sur lui : son style, moins naturel, commence à s’encombrer de phrases flagorneuses et de formules emphatiques d’une humilité exagérée. Dans toute cette affaire de Medole, le duc ne semble pas s’être départi de sa bienveillance habituelle. En septembre 1531, il fit remettre à Titien la bulle de concession tant désirée, en l’accompagnant d’une lettre par laquelle il lui faisait part de son prochain mariage. Le peintre le félicita et