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Ferrare dès qu’il aura changé quelques figures, mais se refuse à fixer une date. En attendant, il prie Tebaldi de demander au duc pour un sien ami, grand chasseur, Niccolò di Martini et pour son valet, un permis de chasse aux oiseaux sur l’autre rive du Pô ; l’octroi de cette faveur lui redonnerait du cœur pour se mettre au travail. Ainsi encouragé, il était certain de peindre les plus belles figures du monde. « Trêve de plaisanteries ! s’écria Tebaldi ; arrangez-vous pour venir le plus tôt possible. »

Au mois d’août suivant, rien de prêt encore. Titien ne remuait pas. Le prince était furieux. Tebaldi se rendit à l’atelier ; il nota minutieusement l’état de la toile (le Bacchus et Ariane, aujourd’hui à Londres dans la National Gallery). Il n’y avait de fait que le char traîné par les animaux et les deux figures principales : « Rien de plus facile à terminer, lui dit Titien, c’est l’affaire d’une quinzaine ! » Désolé d’ailleurs d’avoir déplu à son puissant protecteur, le peintre consentait à prendre un engagement, il promettait la livraison pour le mois d’octobre ; mais, comme l’ambassadeur insistait pour qu’il allât, en attendant, à Ferrare se réconcilier avec le duc, Titien déclara qu’il ne partirait, cette fois, qu’avec un sauf-conduit écrit de la main du prince : « A quoi bon, d’ailleurs, fit-il à plusieurs reprises, puisque j’aurai fini dans le délai que je vous dis et que je n’accepterai d’ici là aucune commande, vînt-elle de Notre-Seigneur Dieu ! » Le mois d’octobre arriva et le Bacchus n’était pas terminé ! Et Tebaldi fut encore chargé d’exprimer la colère du duc ! Et Titien le reçut avec son calme imperturbable ! Il lui montra qu’il avait changé plusieurs figures, se refusant toujours à s’en aller à Ferrare, où il ne trouverait point, comme à Venise, toutes ses commodités pour ses modèles, hommes et femmes : « Je fais ce que je puis, je vous jure ; je travaille tous les jours régulièrement à cette toile, au moins toutes les après-midi, puisque, dans la matinée, je suis obligé de travailler au palais ducal. » Titien ne mentait pas. Un autre maître, qu’il avait plus d’intérêt encore à ménager, le gouvernement de la sérénissime république, dont il était le peintre officiel depuis la mort de Giovanni Bellini, ne le tourmentait pas moins énergiquement. Le conseil des Dix, dans sa séance du 11 août 1522, avait voté une résolution, mettant le peintre en demeure d’achever avant le 15 juin la quatrième toile dans la salle du grand conseil, sous peine de déchéance de ses fonctions de courtier à l’Entrepôt des Allemands et de restitution au trésor de tous ses honoraires depuis six ans. Il fallait donc, bon gré mal gré, faire au moins preuve de bonne volonté.

Enfin, dans le mois de janvier 1523, Titien put annoncer au duc que le Bacchus et Ariane était achevé. Les livres de dépense du château de Ferrare ont enregistré les paiemens faits « le 30 janvier