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20 millions des caisses de la Banque pour les employer, sans consulter les directeurs, à l’établissement de manufactures, à la création d’usines sans rendement immédiat. La vérité est qu’on lui est redevable de l’impulsion donnée à l’industrie locale et de la création de la plupart des manufactures qui permettent à la Californie d’utiliser ses laines et ses cotons. Après lui, la Bank of California dut se reconstituer sur d’autres bases, mais non sans avoir enrichi la plupart de ses actionnaires et de ses agens, parmi lesquels on cite William Sharon, dont la fortune atteint 125 millions.

Combien d’autres ne pourrait-on pas encore nommer qui ont accumulé en quelques années des capitaux énormes ? Leland Stanford, C.-P. Huntington, Charles Cooper, Mark. Hopkins, modestes détaillans de Sacramento, depuis vingt et trente fois millionnaires ; John-P. Jones, simple mineur ; E.-J. Baldwin, loueur de voitures ; James-R. Keene, laitier, aujourd’hui possesseurs de 50 et 60 millions de francs.

Peu de villes comptent autant de millionnaires que San-Francisco. Dans peu de villes aussi s’étale un luxe plus écrasant. Elle se ressent de son origine et subit encore aujourd’hui l’influence de son point de départ. La note dominante y est la même qu’en 1849 ; mêmes aussi les appétits et la prodigalité. Les vins les plus coûteux, les meilleurs cigares, les soieries les plus luxueuses se vendent à San-Francisco. Les hôtels les plus somptueux, les résidences les plus princières s’étalent dans ses rues. Nulle part la vie matérielle n’est aussi large. La Californie consomme par année soixante livres de sucre par habitant contre vingt en France, dix livres de café contre trois, et de tout à l’avenant. Nulle part l’hospitalité ne s’exerce aussi complète ni sur une plus large échelle ; nulle part les bourses ne s’ouvrent plus libéralement à l’appel de la charité. On le vit pendant la guerre de sécession. Sur les 24 millions de dons volontaires aux blessés souscrits en numéraire par tous les états de l’Union, la Californie seule en donna 6, et San-Francisco contribua pour la moitié de cette somme. On n’a pas oublié le magnifique élan de nos compatriotes californiens en 1871, et comment cette colonie de 11,000 Français envoya plus d’un million et demi pour venir en aide à nos soldats malheureux, somme énorme, vu le nombre restreint de nos nationaux, dont M. Lévy nous a raconté, dans des pages émues et touchantes, l’ardent amour pour la patrie vaincue[1].

San-Francisco, avec une population d’un peu plus de 300,000 habitans, dépense annuellement plus de 5 millions, provenant de dons volontaires, en charité, et l’on évalue en outre à plus de 10 millions, en numéraire, les sommes souscrites par ses habitans, depuis quinze ans, pour secourir au dehors les infortunes

  1. D. Lévy, 1 vol. in-8o ; Grégoire, Tauzy et Cie. San-Francisco.