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Morgan se retiraient, et la raison sociale devenait Fretz et Ralston. Peu après, une de ces crises financières si fréquentes alors en Californie éclatait à San-Francisco et mettait leur maison à deux doigts de sa perte. Leur clientèle se composait surtout de négocians dont ils recevaient les dépôts en comptes courans et auxquels ils consentaient de fortes avances. La plupart des maisons de banque opéraient de même. Une spéculation effrénée, brusquement arrêtée, entraînait des faillites considérables. Dans cette circonstance, Ralston fit preuve d’un sang-froid et d’une décision remarquables. Par son calme et son courage, il imposa la confiance autour de lui ; grâce à de prodigieux efforts, il parvint à soutenir le crédit ébranlé et traversa la crise, non sans perle, mais sans y succomber. A partir de ce jour, la maison Fretz et Ralston prit le premier rang parmi les maisons de banque de San-Francisco.

En 1864, Ralston jetait les bases de la puissante banque connue depuis en Europe, en Asie et en Amérique, sous le nom de Bank of California. Dès le début, elle vit se grouper autour d’elle les plus riches capitalistes du monde entier. Ralston, auquel on en offrit la présidence, refusa et fit nommer D.-O. Mills, mais il en resta le directeur dont l’influence dominante s’exerçait sur les finances, le commerce, l’agriculture, les manufactures et la politique de l’état.

Une si haute position, si rapidement conquise, devait lui faire et lui fît beaucoup d’envieux. Par compensation, la part considérable qu’il prenait dans toutes les grandes affaires, les capitaux énormes dont il disposait, les intérêts multiples groupés autour de lui lui créaient de nombreux et puissans appuis. Aucune entreprise nouvelle ne se fondait sans son concours, et chaque matin, la porte de son bureau était assiégée par les faiseurs de projets, capitalistes et gros négocians. Il recevait tout le monde, écoutait avec patience, se décidait promptement en quelques mots clairs et nets. Son hospitalité était proverbiale. Il habitait hors de San-Francisco une immense villa dans laquelle il pouvait loger et héberger jusqu’à cent visiteurs à la fois. Sur le parcours il avait établi des relais de chevaux pour une douzaine de voitures. Tout son train de maison était à l’avenant et ses envieux affirmaient qu’en dehors de sa part des bénéfices et de ses émolumens, la banque lui allouait 1 million par an pour ses frais de réception. Quoi qu’il en soit, il le dépensait et au-delà en hospitalité ; en outre, il souscrivait libéralement et souvent secrètement à toutes les œuvres de charité. Quand il mourut, il se faisait construire à San-Francisco une résidence princière.

Peu d’hommes, en Californie, eurent autant d’amis et d’admirateurs. On l’y désignait sous le nom de César financier. Après sa mort, ses ennemis n’épargnèrent pas les reproches à sa mémoire ; on l’accusa, non de s’être approprié, mais d’avoir détourné plus de