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bataille[1], sont une des choses les plus aimablement naïves qui se puissent imaginer. Les règles de guerre pour la ville assiégée, vu la cruauté antique, furent en leur temps un progrès. Les droits de la belle captive sont conçus avec tact. Les prescriptions relatives à l’homme qui a deux femmes, à l’homme qui vient de prendre une femme, au fils indocile, à l’adultère, au viol, aux nids d’oiseaux, certaines recommandations de propreté, et surtout la raison qui en est donnée[2], les bizarres prescriptions sur la virginité[3], eurent en leur temps une justesse relative. L’homicide par imprudence est sagement prévu. La règle sur l’esclave fugitif a semblé anarchique à des états modernes censés libéraux. La cueillette des grappes et des épis paraîtrait également trop libérale à certains pays. La peine de mort est follement prodiguée, comme dans tous les codes antiques ; mais les punitions corporelles sont limitées. Tout respire une horreur instinctive du sang versé.

Quoi de plus délicat que la recommandation d’oublier des gerbes en moissonnant, de ne pas dépouiller complètement les branches de l’olivier, de laisser de quoi grappiller après la vendange, pour que le pauvre ait sa part[4] ? L’auteur de ce code n’aima sûrement qu’Israël ; mais comme il l’aima ! Il ne comprit rien à la liberté ; dans sa pensée, les membres d’une société se garantissent tous et sont responsables de tous. Mais comme il conçut bien le bonheur de frères qui vivent ensemble ! Comme les panégyries qu’il rêva, ces théories de riches paysans apportant au temple leurs nouveaux fruits, en compagnie des lévites et des pauvres, durent bien chanter en chœur le beau cantique :


Oh ! qu’il est bon ! oh ! qu’il est doux à des frères d’habiter ensemble !

C’est comme un parfum sur la tête, qui découle sur la barbe d’Aaron[5] et humecte le bord de sa tunique.

Comme la rosée du ciel qui descend sur la montagne de Sion ; car c’est là que Iahvé a placé le bonheur, la vie pour l’éternité[6].


Devant tant de belles et bonnes choses, on oublie certaines taches, quelques prescriptions cruelles, qui jamais, nous le répétons, n’ont été appliquées, des abus du principe de la solidarité, qui gâteraient tout le livre si, par une heureuse contradiction,

  1. Ch. XX, 1-9. Cf. XXIV, 6.
  2. Ch. XXIII, 10 et suiv.
  3. Ch. XXII.
  4. Levit., XIX, 9, XXIII, 22, parait antérieur.
  5. Ce trait indique les temps du second temple.
  6. Ps. CXXXIII, texte fortement altéré.