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de mauvais œil votre pauvre frère et de ne lui rien donner, de peur qu’il n’invoque Iahvé contre vous et que vous ne vous chargiez d’un péché. Donnez-lui plutôt, et que votre cœur ne lui donne pas à regret ; car, à cause de cela, Iahvé, votre Dieu, vous bénira dans tous vos travaux et dans toutes vos entreprises. Car les pauvres ne manqueront jamais dans le pays[1]. C’est pourquoi je vous donne ce commandement : « Ouvrez vos mains pour vos pauvres et vos indigens dans votre pays. »


Le code de l’esclavage, presque tout emprunté au Livre de l’Alliance, ajoute aux prescriptions de l’ancien code des règles inspirées, elles aussi, par un sentiment d’humanité. Le droit d’asile est développé, de façon à créer un contrepoids à la cruelle loi du sang pour le sang. La confiance funeste que toutes les vieilles justices ont dans le témoignage est atténuée d’une manière assurément fort insuffisante. Le lévirat, enfin, institution dont seul notre législateur donne la théorie, implique un souci des droits de la femme bien rare dans l’antiquité.

En somme, le code de Iahvé trouvé par Helqiah est un des essais les plus hardis que l’on ait faits pour garantir le faible. C’est le programme d’une sorte de socialisme théocratique procédant par la solidarité, ignorant l’individu, réduisant à presque rien l’ordre militaire et civil, supprimant le luxe, l’industrie et le commerce lucratifs. Les restrictions apportées au droit de prendre des gages dépassent de beaucoup les prescriptions déjà très humaines du Livre de l’Alliance. Le passage sur le mercenaire est excellent : « Vous ne ferez point de tort au mercenaire pauvre et indigent, qu’il soit de vos frères ou des étrangers qui demeurent dans votre terre et dans vos villages ; vous lui donnerez son salaire chaque jour avant le coucher du soleil (car il est pauvre et il l’attend avec impatience), de peur qu’il n’invoque Iahvé contre vous et que cela ne vous soit compté comme un péché. » Déjà une efficacité toute spéciale est attachée à la malédiction du pauvre. On est près d’admettre que sa prière a une valeur particulière auprès de Dieu, idée dont le moyen âge fera découler de si graves conséquences sociales et économiques. La recommandation de ne pas museler le bœuf, pendant qu’il dépique le blé dans l’aire, se rattache au même ordre d’idées, dont le socialisme moderne ne se fait une arme que parce que la saine économie politique ne sait pas s’en saisir.

Les éliminations opérées dans les rangs par le prêtre, avant la

  1. Légère contradiction avec ce qui précède. L’auteur sent bien que son rêve d’un Israël pratiquant parfaitement la loi de Iahvé ne sera jamais réalisé.