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cuper d’événemens qui sont pour elle une perpétuelle menace, et les discours récemment prononcés à Pesth ne sont, après tout, que l’expression plus ou moins nuancée de cette préoccupation, sans avoir peut-être au fond une signification aussi sérieuse qu’on a pu le croire un instant. Au premier abord, il est vrai, le président de la délégation autrichienne, M. Smolka, et le président de la délégation hongroise, le comte Louis Tisza, le frère du président du conseil, ont paru mettre dans leur langage un accent un peu vif, presque belliqueux. Ils ont avoué sans détour qu’on ne pouvait se défendre d’inquiétudes sérieuses en présence des événemens qui agitent la péninsule des Balkans, et ils n’ont pas craint de prévoir le moment où l’Autriche pourrait être conduite à détendre ses intérêts par les armes. D’une manière générale, on peut parler ainsi sans se compromettre, puisqu’un grand empire n’est jamais à l’abri de cette extrémité de la guerre ; dans les circonstances présentes, il est certain que ce langage a pu émouvoir une assemblée, qui s’est demandé aussitôt si M. Smolka et M. Tisza s’étaient concertés avec le gouvernement, et il a fallu peu après, le discours de l’empereur François-Joseph lui-même pour calmer les esprits en précisant mieux la situation. Ce n’est pas que le discours impérial ait rien dissimulé, qu’il ait déguisé la gravité des choses ou qu’il ait évité de s’expliquer sur les conditions nécessaires de la pacification des Balkans. L’empereur François-Joseph a dit à peu près tout ce qu’il pouvait dire sur les événemens qui se sont succédé depuis la révolution de Philippopoli, et qui ont créé la dangereuse crise d’aujourd’hui. Il ne cache pas les difficultés, il ne cache pas non plus que, dans la pensée de l’Autriche, rien n’est possible que par le respect du traité de Berlin, par l’accord de toutes les puissances, par la confirmation de l’autonomie bulgare, c’est-à-dire par l’exclusion de toute influence étrangère dans les Balkans. L’empereur François-Joseph a l’air de faire ses conditions, de dire ou d’insinuer ce que l’Autriche acceptera, ce qu’elle ne pourrait pas accepter ; mais, en même temps, il se hâte de dissiper tous les nuages par ses déclarations confiantes, par les témoignages les plus rassurans sur les « intentions pacifiques de tous les gouvernemens. » En d’autres termes, l’empereur François-Joseph énumère tout ce qui pourrait troubler la paix et tout ce qui doit l’empêcher d’être troublée. Le langage de l’Autriche est évidemment celui d’une puissance qui se sent dans une situation difficile, qui craint de trop s’engager. Le comte Kalnoky, dans les commentaires par lesquels il peut être appelé à compléter le discours impérial, ne sortira probablement pas de cette savante réserve, et ce qui domine, en définitive, dans la politique autrichienne, en dépit des paroles de M. Smolka et du comte Tisza, c’est le désir, c’est l’espoir de la paix.

Cette malheureuse affaire de Bulgarie, ce n’est pas seulement en Autriche qu’elle est une obsession. L’Angleterre, qui a déjà l’Irlande