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mille francs sur les pensions de quelques malheureux instituteurs congréganistes qui ont passé leur vie au service des écoles publiques ou de supprimer cinq mille francs affectés, à ce qu’il paraît, à l’entretien des chats dans les casernes. Oui, probablement, si on le voulait, on pourrait trouver mieux ! Mais qu’on ait recours aux économies ou à de nouveaux impôts, qu’on accepte les propositions de M. le ministre des finances ou les projets de la commission du budget, il est bien clair qu’on ne fera rien de sérieux, qu’on continuera à se débattre dans un provisoire indéfini, si, avant tout, on ne se décide pas à changer de système. C’est la politique qui a créé et aggravé la crise financière, c’est la politique seule qui peut la guérir. Il y a un mot du baron Louis qui a été bien souvent répété, qui a été reproduit avec à-propos l’autre jour : on ne fait de bonnes finances qu’avec de la bonne politique, et c’est ici justement qu’intervient M. Raoul Duval avec son discours qui, à travers les détails du budget, va droit à la vraie question, à la direction générale de nos affaires, à la conduite des partis dans la situation faite à la France.

Quelle est la portée réelle de ce discours que M. Raoul Duval a cherché l’occasion de prononcer, où il a mis une évidente franchise, un courageux bon sens et quelques illusions ? Ce n’est peut-être pas un événement, — ce qui est toujours un bien gros mot ; c’est l’acte sérieux et sincère d’un homme qui, placé entre les partis, indépendant d’esprit et de caractère, cherche les moyens de redresser une politique égarée sans sortir d’une légalité qu’il n’a pas créée, à laquelle il se soumet. Le brillant député de l’Eure, à parler franchement, ne dit que ce qui est dans la pensée de bien des hommes désintéressés, en assurant que, dans la situation telle qu’elle existe, il peut y avoir pour les conservateurs un rôle plus utile et plus efficace que de s’agiter sur place, de s’effrayer du mot de république, de sacrifier à un idéal qu’ils ne peuvent réaliser pour le moment les intérêts dont ils sont les mandataires et les défenseurs. Si les conservateurs avaient pu rétablir la monarchie, ils n’auraient pas tant attendu évidemment ; ils auraient depuis longtemps ramené la royauté à l’Elysée ou ailleurs. S’ils ne l’ont pas fait, c’est qu’ils ne l’ont pas pu ; s’ils ne le font pas encore, c’est qu’ils ne le peuvent pas, et dès lors, ce qu’il y aurait de mieux, ne serait-ce pas d’éviter de remettre sans cesse en doute ce qu’on ne peut pas abroger, de s’établir tout simplement dans les institutions en s’employant à y introduire l’esprit et les garanties d’un régime conservateur ? M. Raoul Duval, en un mot, veut fonder le parti modéré de la république contre les républicains qui ont abusé de tout, qui ont divisé la France par leur politique, par leurs guerres religieuses, qui ont épuisé les finances par leurs gaspillages et leurs imprévoyances, qui ont désorganisé son administration par leurs épurations de parti. M. Raoul Duval n’est pas le premier que cette pensée généreuse ait séduit. Il a