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ont abusé, qui n’ont su manier le grand levier des ressources publiques que pour la satisfaction de leurs préjugés et de leurs passions. La discussion du budget, qui a commencé il y a quelques jours et qui est loin d’être finie, a certainement cette année un intérêt particulier. Elle a un intérêt financier par le jour qu’elle jette sur une situation de plus en plus difficile ; elle a pris aussi à l’improviste un intérêt politique de circonstance par une manifestation dont elle a été l’occasion, par un discours de M. Raoul Duval, jetant au milieu de ces débats un appel à la modération.

On aura beau s’en défendre, professer un optimisme mielleux comme M. le président du conseil ou un optimisme délibéré et tranchant comme M. le rapporteur général du budget, on n’échappera pas à la dure vérité des choses. La vérité est que, depuis quelques années, les finances françaises ont été si singulièrement conduites, qu’on plie aujourd’hui sous le poids des dépenses incessamment accrues, des déficits accumulés ; on ne sait plus comment s’en tirer, et la meilleure preuve, c’est qu’entre M. le ministre des finances et la commission du budget, qui ont été un moment fort divisés, qui ne paraissent pas encore réconciliés, toute la question est de savoir comment on suffira à ces dépenses, comment on comblera ces déficits, quels impôts nouveaux on établira, si on supprimera le budget extraordinaire ou si on le maintiendra pour faire bonne contenance.

La vérité est que, depuis quelques années, tandis que toutes les recettes ont fléchi, les dépenses n’ont cessé d’augmenter. Et la cause de cette aggravation de dépenses, aussi imprévoyante qu’onéreuse, il ne faut pas la chercher bien loin : elle est à chaque pas dans le budget même, elle est dans la politique, meurtrière pour les finances, par laquelle les républicains, maîtres du pouvoir, ont cru assurer leur domination. On a voulu épurer à outrance, épurer surtout la magistrature, et le chiffre des pensions civiles, qui était, il y a quinze ans, de moins de trente millions, est aujourd’hui de soixante millions. Il a fallu assouvir des convoitises, récompenser ou encourager toute une clientèle de parti ; on a multiplié les emplois à tous les degrés, et le chiffre des traitemens s’est accru, en quelques années, de plus de cent millions. Les fonctionnaires, qui coûtaient, en 1875, deux cent soixante-dix millions, coûtent maintenant quatre cents millions. On a voulu satisfaire les passions anticléricales par la propagation de l’enseignement populaire, par des constructions d’écoles de tout genre, et on a engagé l’état, les départemens, les communes, dans une dépense de plus d’un milliard, non pas pour un développement de l’instruction publique qui n’eût pas été contesté, mais pour payer les frais d’une guerre religieuse, de ce qu’on a appelé la « laïcisation. » On a cru se populariser par des travaux de toute sorte, et on a démesurément grossi la dette publique dans un moment où la France avait besoin de