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comme il sied aux personnages. À cette petite comédie peut s’adresser le même compliment qu’à son héroïne : « Vous ne faites rien pour plaire et vous n’en plaisez que davantage. » Et elle aussi peut répondre : « Je suis naturelle. Il y a quelques bonnes gens encore, pas beaucoup, qui aiment cette note-là: »

« Cette note-là, » Mlle Pierson, qui fait Mme Chevalier, l’a gardée avec une aisance parfaite; Mlle Durand, qui joue Geneviève, a su la donner à une octave plus haute; M. Baillet, entre les deux, n’a pas détonné. C’est ici le moindre ouvrage de M. Becque : à la Comédie-Française, on en voit la valeur. Montée avec cette façon, quels feux ne jettera pas la Parisienne !

Au demeurant, « cette note-là, » est-il bien vrai que si peu de gens l’aiment encore? Au théâtre, justement, il me semble que, chaque jour, le public la réclame avec plus de force : tout ce qui n’est pas naturel lui demeure étranger. C’est faute d’imiter la nature qu’une tragédie patriotique, un drame révolutionnaire, le laissent indifférent ; c’est faute de logique, — et la logique serait ici un souvenir de la nature, — que des marionnettes, même soufflées par un poète, l’amusent un peu moins qu’elles n’ont promis ; c’est par sa ressemblance à la nature que la plus petite et la plus simple comédie gagne son cœur. Et tenez ! Il s’est produit, la semaine dernière, au Vaudeville, une farce dont l’idée première est ingénieuse, mais dont l’exécution n’est pas tout entière originale. C’est le Conseil judiciaire, de MM. Moinaux et Bisson, joué plaisamment par MM. Jolly et Dieudonné, Mme Daynes-Grassot et Jane May. Telle quelle, cette pièce a été applaudie jusqu’au bout : en savez-vous la raison ? c’est que le public avait été mis en belle humeur, au commencement, par la photographie animée d’une salle d’audience au Palais de justice, et par la reproduction vraisemblable de deux plaidoiries : l’une d’un avoué pédant, l’autre d’un avocat mondain. Ces allées et venues, ces postures, ces intonations étaient naturelles! Ce que nous aimons dans l’art, quel qu’il soit, c’est la nature : il arrive même que nous ne l’aimions que là.


LOUIS GANDERAX.