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dans la séance du 3 septembre : « Les théâtres sont les écoles primaires des hommes éclairés et un supplément à l’éducation publique. » Il s’est rappelé surtout la Commune de Paris mandant les comédiens à l’Hôtel-de-Ville, interdisant l’Ami des lois par un arrêté, substituant à la tyrannie des gentilshommes de la chambre sa libérale autorité.

Les comédiens ordinaires du conseil municipal, dont les principaux sont d’honorables vétérans du mélodrame, prétendent, paraît-il, rester les comédiens ordinaires du public: M. Lacressonnière et Mme Marie Laurent s’inquiéteront moins d’entretenir l’esprit révolutionnaire que d’intéresser le spectateur et de remplir la caisse de la compagnie; — puisse le conseil leur pardonner des sentimens si bas! — c’était bien le moins que, pour commencer, ils offrissent à ce généreux gérant de nos propriétés un divertissement à son goût. On ne pendra pas tous les jours, pas même la crémaillère! On pouvait choisir, pour cette inauguration, une reprise du Jugement des rois ou de la Papesse Jeanne; on pouvait remonter la Contre-lettre ou le Jésuite, l’Incendiaire ou la Cure et l’Archevêché ; — mais peut-être on garde ce répertoire pour des matinées classiques réservées à l’influence du conseil et destinées, naturellement, aux enfans des écoles ; — bref, on s’est contenté, pour cette fête, du Jacques Bonhomme de M. Maujan.

Si l’on a pu s’en contenter, ce n’est pas seulement parce que les premiers tableaux de la pièce forment une sorte de galerie des horreurs du moyen âge. D’après les eaux-fortes de Mérimée, l’auteur a exécuté ici de larges peintures qui rappellent ces « mystères de l’inquisition » brossés sur la toile de quelques baraques foraines. Assurément ce prologue a du bon : il pourrait emprunter un sous-titre à certain ouvrage applaudi, voilà bientôt cent ans, sur le Théâtre des Sans-culottes : les Crimes de la féodalité. Mais ce mérite n’eût pas suffi. Ce qui a désigné Jacques Bonhomme pour un si grand honneur, c’est moins encore l’action enfantine du drame qui se fonde sur ce prologue : la femme d’un vilain mise à mal par un seigneur, la vengeance de ce vilain et ses péripéties... Et qu’est-ce donc enfin qui devait offrir aux patrons du lieu un agrément particulier? C’est Jacques Bonhomme lui-même, personnage symbolique, allégorie, figure! Jacques Bonhomme c’est le Peuple : ô bourgeois, saluez! Et vraiment vous auriez mauvaise grâce à ne pas vous découvrir devant ce héros : il est chargé de toutes les vertus, il est gonflé des plus merveilleuses idées. Auprès de lui, l’évêque Myriel, des Misérables, est médiocrement évangélique ; auprès de lui Etienne Marcel, même pour nos conseillers, n’est plus qu’un petit génie.

Pour frayer avec cet idéal représentant du peuple et pour lui donner lieu d’exposer sa morale et sa doctrine, il fallait des personnages