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Elle les crie par cette bouche de pierre, par ces bouches d’airain : des lèvres humaines seraient peut-être moins complaisantes ; des héros qui crieraient pour leur compte ne rediraient pas si docilement cette leçon civique. Et si, par ces porte-voix, c’est toujours le même commandement qui nous frappe, tant mieux! L’auteur des Chants du soldat, pour peu qu’on lui reproche de chanter toujours la même chose, répond avec franchise :


Tant mieux ! clou martelé n’entre que plus avant !


Le malheur, c’est que, si je vais au théâtre, au lieu de lire des poésies patriotiques au coin de mon feu, et si toute une troupe d’acteurs me représente des personnages divers, je veux croire que ces personnages existent : point d’illusion, point d’émotion. Jahel et fils, cette raison sociale d’une entreprise patriotique, ne m’émeut pas.

J’aperçois bien sur la scène d’autres figures que celles-là : Jean, fils de Jahel, qui, entre les cinq, je le reconnais, a le principal rôle; Antiochus, et enfin sa fille. Mais Jahel toute seule, dans une foule, suffirait à m’avertir que cette foule n’est pas composée d’êtres humains; Jahel, dans une histoire, me prévient que cette histoire est un conte. Point de terreur ni de pitié; Jahel me rassure et me glace : rien de tout cela n’est arrivé. Aussi bien, regardés à part, ces compagnons de Jahel sont creux et vides; ce ne sont que les silhouettes nécessaires à l’action, et dont les traits ne sont guère plus nouveaux ni plus particuliers que cette action même. Jean, peut-être, est plus près que les autres d’obtenir un caractère: dernier rejeton d’une race héroïque, faible et attendri, martyr d’une cause dont il doute, il a quelque velléité d’être original ; mais l’auteur ne prend pas le temps de l’y aider. Au demeurant, il n’est que le jeune premier traditionnel en pareille affaire, une main tendue vers sa patrie, une autre vers sa belle, et qui reste ainsi, les bras en balancier, jusqu’à l’heure de la culbute finale. De même, la fille d’Antiochus n’est que la jeune première bien connue, plantée entre son père, l’oppresseur, et son amoureux, le patriote. Et Antiochus lui-même n’est que cet oppresseur oscillant de l’amour paternel au devoir de l’homme d’état. Ainsi toutes les formes, dans ce tableau, sont impersonnelles. Si l’usage n’était que l’affiche porte des noms propres, Mlle Arnaud aurait pu simplement y inscrire, en guise de liste des personnages : la Mère patriote, son Fils, l’Oppresseur, sa Fille.

Ces héros abstraits, est-il besoin de le dire? ne font rien par eux-mêmes. Ils sont des jouets aux mains de l’auteur, dont la volonté règle leur conduite. Ils entrent et ils sortent selon les besoins de sa