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de l’étranger détestable, et qu’il faut tout sacrifier à l’indépendance nationale et ne jamais désespérer d’elle. — Second point : M. Porel «y a cru. » Qu’est-ce à dire? — s’il a cru au succès de l’ouvrage et au bénéfice qu’il en tirerait (c’est en ce sens, généralement, qu’il importe à un directeur de croire ou de ne pas croire), je ne puis qu’honorer sa foi. Mais si, d’aventure, il s’agit de croire à l’ouvrage lui-même, c’est-à-dire d’en recevoir ce bienfait que nous allons chercher au théâtre, l’illusion, oh ! alors je l’envie! Je n’y puis croire, en effet, à la vérité de ces personnages et de leurs actions. Mais si je n’y puis croire, — excusez le paradoxe apparent, — c’est justement parce que toute l’œuvre n’est qu’une « œuvre de conviction. »

« Sitôt qu’un homme a une conviction forte, assure M. Taine, son livre est beau. » Son livre, soit! Mais son drame? Le livre est l’expression directe de la personne de l’auteur ; si cette personne est énergiquement attachée à une idée ou à un sentiment, son expression nous émeut. Mais le drame n’existe qu’autant que l’auteur a créé, pour les mettre aux prises, des personnes différentes de la sienne. La conviction peut bien être le principe du drame : elle peut fournir à l’imagination dramatique une occasion de travail; elle peut engager cette ouvrière : elle ne saurait la remplacer. Or, si elle est trop ardente, trop pressée de triompher en paroles, elle veut toute seule occuper la scène, et elle l’occupe mal. Un drame ne sera pas un drame s’il n’est qu’une « œuvre de conviction, » ou, pour parler plus nettement, s’il n’est que l’œuvre d’une conviction et de cette conviction toute seule.

On est femme, on est généreuse, on est pleine de bonne volonté; on a consacré son cœur comme un foyer où brûle ce feu unique : l’amour de la patrie. On est Française, on a vu la terrible guerre où la France a perdu deux provinces : on est patriote, et peut-être on ne l’est pas comme tout le monde; on est patriote, plutôt, comme toute une ligue. Ce n’est pas assez d’être chez soi, pour soi, une Vestale; on veut être, par ce temps de paix armée, une vivandière des âmes : où donc, mieux que dans un théâtre, communiquer avec elles? On y court, dans ce lieu public, pour y confesser sa foi. Dire tout haut un « acte de foi, » oui, voilà l’essentiel; voilà le dessein d’une conscience impatiente, elle s’y précipite. Mais la formule de cet acte? Ah! ce n’est point ce qui l’intéresse ; elle ne s’accorde pas le loisir d’en inventer une : elle prend la première qui se présente; cette première est peut-être vague, banale, faite de réminiscences de toute origine ; qu’importe? On l’accepte, on l’emploie telle quelle; on a hâte de se soulager. A quoi bon, d’ailleurs, chercher autre chose? On ne doute pas que le principal, et même le tout, pour la foule, ne soit d’entendre un acte de foi, comme, pour soi, de le dire.