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sans résistance. Le gouverneur de l’état donnait ordre au major Sherman, célèbre depuis dans la guerre de sécession et général en chef de l’armée des États-Unis, de prendre le commandement de la milice et d’arrêter les chefs du comité. Le major Sherman se mit en devoir d’obéir, mais la milice refusa de marcher. Le général Wool, requis de faire avancer les troupes fédérales, ne put ou n’osa le faire. Pendant trois mois, le comité de vigilance poursuivit son œuvre, soutenu par ses adhérens et par l’opinion publique, agissant au grand jour devant les autorités impuissantes et terminant enfin ses travaux par l’exécution de Hetherington et Brace, pendus le 29 juillet. Toutes les résistances étaient brisées, les coupables punis, la population rassurée ; le comité décida de se dissoudre.

Il le fit le 18 août, au milieu d’une ville en fête, pavoisée de drapeaux. Les vingt-neuf membres du comité défilèrent dans les rues, suivis de leur armée de volontaires au nombre de 5,137 hommes, de trois compagnies d’artillerie et de dix-huit pièces de canons, salués des hurrahs de la foule qui encombrait les trottoirs, des applaudissemens des femmes aux fenêtres. Le même soir, un ordre du jour, affiché sur les murs, remerciait les volontaires de leur concours, les invitait à reprendre leurs occupations et annonçait que le comité de vigilance était dissous, prêt à se reconstituer toutefois si les circonstances l’exigeaient.

Rarement on vit mouvement populaire plus énergique et plus calme, plus respectueux, dans sa justice sommaire, des droits de la défense, plus audacieux vis-à-vis des autorités légales et plus prompt à leur remettre, sa tâche terminée, le pouvoir dont elles n’avaient pas su user pour le bien de tous. L’effet moral fut tel qu’aux élections suivantes la plupart des chefs du comité furent élus, sans s’être présentés, aux fonctions municipales, et que les dépenses de la ville baissèrent, d’une année à l’autre, de plus de 11 millions.

L’ordre régnait, enfin, dans San-Francisco. Une ère finit, ère de trouble et de violence, de meurtres, de vols et d’incendie, mais aussi de grandes choses, de libre initiative, de travaux gigantesques entrepris par une population jeune, ardente et vaillante. Ce sont ces bras robustes et ces rudes mains qui ont solidement assis à l’entrée de la Porte-d’Or la métropole naissante du Pacifique, et qui, l’ayant édifiée, ont su la défendre, comme ils sauront porter haut sa grandeur et sa fortune.


C. DE VARIGNY.