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en riant qu’il lui arrivait rarement de sortir de chez lui Fans avoir à négocier, dans sa journée, un emprunt de 150 à 200,000 francs.

Ce que l’on sut plus tard, c’est que Meiggs, en sa qualité de membre du conseil municipal, avait réussi à détourner une grande quantité de ces warrant* revêtus, par anticipation, de la signature du maire. Il remplissait les blancs pour la date, le nom du porteur et la somme en copiant ceux dont il était détenteur légitime. Des mois s’écoulèrent sans qu’on découvrît la fraude. Meiggs payait régulièrement l’intérêt échu, mais cet intérêt, qui était de 3 pour 100 par mois, il fut bientôt obligé de l’augmenter, et on le vit emprunter sur dépôt de ces titres jusqu’à 10 pour 100 par mois. À bout de ressources, il fabriqua de faux billets, un, entre autres, de 75,000 francs sur lequel il imita la signature d’une importante maison de San-Francisco, Thompson et Cie. Le faux fut découvert par l’un des associés, mais tel était encore le prestige de Meiggs, que cet associé consentit à ne point porter plainte, le faussaire remboursant la somme.

En septembre 1854, Meiggs sentit enfin qu’il était perdu sans ressources. Sa popularité déclinait rapidement, ses prêteurs se faisaient rares et se montraient méfians. Décidé à prendre la fuite, il arma et équipa l’un de ses navires, le brick American, le fit installer et approvisionner avec tout le luxe et le confort possible, annonça son intention de faire, avec sa famille, une excursion sur la baie, s’embarqua avec sa femme, ses enfans et son frère et prit le large. Le lendemain on apprenait, avec stupeur, la fuite de Meiggs, sa faillite colossale et les faux qu’il avait commis. Bon nombre de ses prêteurs étaient ruinés, mais on crut, et non sans motifs sérieux, que plusieurs maisons suspendaient leurs paiemens, gravement atteintes par ce sinistre, qui n’y perdaient en réalité que des sommes peu importantes, et profitaient de l’occasion pour liquider une situation compromise.

Meiggs se rendit d’abord à Tahiti, puis au Chili, où il offrit ses services pour les travaux publics. Le bruit de ses fraudes l’y avait précédé, et on ne consentit à l’employer que comme surveillant d’équipe de manœuvres, mais ses connaissances spéciales, son activité, quelques suggestions heureuses aux entrepreneurs le rendirent utile d’abord, puis indispensable. Bientôt il soumissionna pour son propre compte, réussit, livra ponctuellement et bien exécutés les travaux qu’il entreprit. On venait de décider la construction du chemin de fer de Valparaiso à Santiago ; certaines parties de la voie présentaient de grandes difficultés. Meiggs offrit de s’en charger et s’en acquitta avec une rare habileté. De nouveau la fortune lui revenait. Quand il quitta le Chili pour se rendre au Pérou,