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oculaires, il ne parut plus hautain que devant ses juges. Son courage ne se démentit pas un seul instant. Il se défendit avec un calme et une sérénité parfaits, en homme qui a fait le sacrifice de sa vie, mais non de sa mémoire. »

Le 12 août, au matin, on le conduisit sur la plage de Guaymas, et là, tête nue, le front haut, défiant l’ennemi, il mourut en soldat sous les balles mexicaines.

Lui mort, tout s’écroulait ; ses compagnons se dispersèrent. In petit nombre seulement put regagner San-Francisco ; les autres se rendirent au Callao, à San-Blas, ou périrent misérablement dans le voyage.

Le rêve de Raousset-Boulbon devait hanter plus tard Napoléon III et amener la désastreuse expédition du Mexique. Qui sait si, en 1854, Raousset-Boulbon ne l’eût pas réalisé avec un peu d’aide, et si, comme l’a écrit Hittel, historien américain, mais impartial et au courant des événemens, il n’eût pas fait plus pour la France que ne fit Maximilien soutenu par une armée française ?

Son entreprise n’était ni aussi folle ni aussi condamnée d’avance qu’on l’a affirmé depuis. Le Mexique était alors dans un état complet d’anarchie, résultat de la guerre malheureuse avec les États-Unis. La désorganisation administrative, politique et militaire y était telle qu’un chef hardi, soutenu par une poignée d’hommes résolus, pouvait marcher sur les traces de Cortez et, renouvelant ses exploits aspirer à ses conquêtes. La fortune a trahi les efforts de Raousset-Boulbon et de ses compagnons, mais ce qui nous frappe dans cette aventure, dont nous avons connu le chef et les lieutenans, c’est d’y voir la note dominante de notre génie national s’affirmer dans un pareil milieu et dans des circonstances si singulières. On pourrait croire que, seule, la soif de l’or a attiré ces hommes sur ces plages lointaines, comme elle y attirait les émigrans du monde entier, et nous les voyons, dès le début, tourner le dos aux placers, quitter le pic et la pioche du mineur pour prendre le fusil du soldat, se grouper autour d’un chef hardi, mais sans ressources, pour se lancer à la conquête d’une province mexicaine, pour engager la lutte avec les Indiens et leur reprendre par la force des mines moins riches, à coup sûr, que celles qu’ils exploitent en paix. L’esprit d’aventure, l’amour de l’inconnu, de la lutte et du hasard l’emportent chez eux, et les emportent avec eux. Ils subissent à un degré moindre que les autres races qui les entourent l’influence du milieu, de l’âpreté du gain, de l’or. Ils veulent arriver à la fortune par des voies autres qui sourient mieux à leurs instincts. Ce sont des aventuriers, mais comme l’étaient les compagnons de Cortez et de Pizarre.

Si, dans un sens et par un côté, l’émigration française affirmait