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que j’ai cru que j’en deviendrais fou. » Puis il me raconta son histoire.

Depuis quatre ans il était aux mines, dans les placers secs, poursuivi par une malchance qui semblait s’attacher à ses pas. Tout ce qu’il entreprenait échouait; à peine trouvait-il à faire ses vivres dans les localités les plus riches ; à côté de lui on récoltait l’or en abondance, lui ne trouvait rien ou presque rien. Il suffisait qu’il s’associât avec un mineur, heureux jusque-là, pour que la veine tournât. Et cependant il était sobre et laborieux, le premier et le dernier au travail. Lassé de ses insuccès réitérés, il écrivit à un de ses amis, à San-Francisco, le suppliant de lui trouver un embarquement comme matelot à bord d’un navire à destination de Gênes ou de Marseille. Son ami réussit, et l’avisa qu’il eût à se rendre à San-Francisco à une date qu’il lui indiqua. L’argent lui manquait ; mais ses compagnons, aux mines, se cotisèrent pour lui avancer la somme nécessaire.

En attendant le jour fixé pour son départ, il continuait à travailler, découragé, ne trouvant presque rien. L’avant-veille, il s’éloigna du camp pour prospecter, fouillant le sol, cherchant à en tirer quelques piastres. Vers midi, fatigué par la marche et la chaleur, il prit un peu de repos, puis se remit en route pour gagner le camp. Chemin faisant, il creusait de ci, de là, avec son pic, sans résultat, lorsque tout à coup il amena à la surface une pépite d’environ une once. Il se mit à fouiller plus avant dans le sable ; mais, à trois ou quatre pieds de profondeur, son outil se heurta contre un gros caillou. Il savait, par expérience, que les pépites se rencontrent rarement dans un sol pierreux, et il fut sur le point de renoncer à pousser plus avant, mais sa première trouvaille l’encouragea à persévérer. Non sans peine il déchaussait ce caillou quand son pic, portant à faux, vint à en écorner la surface terreuse et lui montrer ce que les mineurs appellent la couleur. C’était une énorme pépite d’or. Il se pencha, essayant de l’attirer à la surface; mais ses mains tremblaient, ses jambes fléchissaient sous lui. « j’étais, dit-il, tout mouillé d’une sueur froide, et mes muscles étaient comme des chiffons. »

Il dut s’arrêter, reprendre haleine et force; il réussit enfin à soulever sa pépite, mais il lui était impossible, dans l’état où il se trouvait et avec les moyens dont il disposait, de la transporter au camp. « Ma tête se prenait, ajouta-t-il, j’étais comme fou. J’avais l’idée fixe que quelqu’un m’observait, que l’on allait m’attaquer, et je me sentais hors d’état de soutenir une lutte. Couché sur ma pépite, je fouillais du regard la plaine et les bouquets d’arbres, soupçonnant un ennemi derrière chacun d’eux, tremblant au moindre