Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on a recueilli des fortunes ; l’or y était aggloméré en poudre fine et en pépites roulées. On n’avait qu’à le ramasser à la pelle sur un lit de sable ferrugineux.

Dans les placers secs, au contraire, l’eau faisait absolument défaut. L’or se trouvait mélangé au sable, plus abondant toutefois dans les ravins qui avaient autrefois servi de lits aux cours d’eau épuisés. On ramassait ce sable dans des plats d’étain ; par un mouvement analogue à celui du vanneur, on agitait ce sable de manière à en faire balayer par le vent les parcelles étrangères. Il restait au fond du plat une poudre noirâtre, mêlée à du sable ferrugineux, que l’on extrayait en partie avec l’aimant; on arrosait le surplus de mercure. Le mercure s’emparait de l’or et faisait corps avec lui. On mettait l’amalgame ainsi obtenu dans un sac de peau, et, par la pression, on extrayait le mercure, qui perlait au dehors, et dont on recueillait la plus grande partie. Pour achever de dégager l’or du mercure, on plaçait le résidu sur une pelle chauffée, le mercure s’évaporait et l’or seul restait. Trois livres d’amalgame donnaient en moyenne une livre d’or.

Ces procédés, essentiellement primitifs, furent les premiers en usage. On perdait autant d’or que l’on en recueillait, mais l’essentiel était d’aller vite. Si défectueux que fût ce mode d’exploitation, il ne laissa pas que de donner des résultats surprenans. En 1848, la production mensuelle de l’or est de 1,500,000 francs ; en 1849, de 7,500,000; en 1850, de 15 millions, soit 180 millions pour l’année, valeur déclarée à l’exportation, sans compter ce qui restait dans le pays et ce que les émigrans emportaient avec eux. Au début, les placers secs furent exploités de préférence, d’abord parce que l’on y pouvait travailler en toute saison, d’une façon continue, ensuite parce que l’or ne s’y trouvait pas seulement en poudre, mais en pépites, quelques-unes d’un volume considérable, et qu’un heureux coup de pioche enrichissait parfois le travailleur.

En 1853, voyageant de Sacramento à San-Francisco, le hasard me fit rencontrer un mineur italien qui, tout d’abord, attira mon attention. Ses allures étranges, ses traits profondément altérés, ses gestes nerveux trahissaient un homme en proie à une vive émotion. Il était mon voisin de table. Pendant le dîner, nous échangeâmes quelques paroles banales. Le repas fini, je lui offris un cigare, qu’il accepta; pour n’être pas en reste de politesse, il insistait pour faire apporter sur le pont une bouteille de Champagne, ce nec plus ultra des mineurs. Je refusai et l’engageai à se contenter d’une tasse de thé, redoutant l’influence que le Champagne pouvait avoir sur ses nerfs surexcités. Il le comprit. « Je ne suis pas malade, me dit-il, mais j’ai été tellement secoué ces jours-ci,