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Mais les frissons légers qui couraient sur l’eau faisaient songer à de longues et voluptueuses caresses, les senteurs compliquées qui s’exhalaient de toutes les fleurs et de toutes les essences forestières étaient comme le souvenir évaporé d’un parfum plus fort et plus troublant, et un monde de rêve semblait s’éveiller à la vie sous ce bois ensoleillé, sur ces eaux mortes, avec des transparences délicieuses de chair embaumée, des rayonnemens de peau blondissante, des souplesses de corps féminins, une douceur pénétrante de voix rythmées, et ce charme des créatures de songe qui est tout-puissant sur chacun de nous parce que nous les formons du plus intime et du meilleur de nous-mêmes, de notre fantaisie et de nos souvenirs. La musique seule, avec ses harmonies voilées, les ressources infinies de sa mélodie et de ses timbres, eût pu rendre ce qu’il y avait, à cette heure, de pensée latente et de poésie incorporée dans ce coin perdu d’une résidence royale abandonnée.

... Quand je quittai ce lieu, le soleil descendait derrière les montagnes situées à l’ouest de Séoul. Autour de moi, les ombres se déplaçant lentement s’allongeaient, éteignaient les tons ; les couleurs s’irisaient, des glacis d’or se posaient sur l’eau, et, dans la vapeur du soir qui se levait, des teintes orangées estompaient les cimes des arbres. Des nuages rosés s’envolaient au loin sur les pâleurs du ciel bleu...


MAURICE PALEOLOGUE.