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que la Corée avait été la grande éducatrice du Japon, et que les deux premiers initiateurs de la civilisation japonaise, au IIIe siècle, venaient du royaume coréen de Mimâna. C’étaient deux savans qui s’établirent à la cour du roi du Yamoto : l’un devint le chef de la corporation des arts et métiers, l’autre professa l’esprit et la doctrine des études chinoises. Ils enseignèrent aux Japonais l’écriture idéographique de la Chine, sa philosophie, sa religion, sa musique et ses institutions politiques; ils leur apprirent aussi les procédés mécaniques chinois, l’art de tisser les étoffes, de broder la soie, de cuire et de décorer la porcelaine, de laquer et d’ouvrager le bois. Et ce fut de Corée encore que venaient au Nippon les bonzes qui, au VIe siècle, allèrent trouver l’empereur Kin-Meï-Tennô, à sa cour de Siki-Sima, pour prêcher l’excellence du bouddhisme et en jeter les fondemens dans le pays même où cette religion devait plus tard atteindre à son plus complet développement.

Mais c’était là tout ce que j’avais pu connaître de l’histoire morale et politique de la Corée. Dans cet état d’ignorance ou de conjecture, des impressions toutes personnelles se dégageaient en moi: celle qui dominait tout d’abord était une sensation d’éloignement, la sensation étrange de l’isolement le plus complet qu’on pût imaginer puisque je me trouvais transporté dans le coin le plus abandonné de la contrée la plus retranchée du monde.

Des souvenirs de France me revenaient à l’esprit ; mais, par un singulier phénomène, ils me semblaient anciens déjà, presque effacés, comme si les faits et les impressions qu’ils me rappelaient se fussent passés il y a longtemps : la distance les transformait comme l’eussent fait beaucoup d’années écoulées.

D’ailleurs, les images vagues, les formes flottantes que ressuscite la mémoire, s’encadraient bien dans ce palais abandonné. Aux sensations pittoresques produites par le spectacle que j’avais sous les yeux correspondait en moi tout un ensemble d’idées ou d’émotions éveillées autrefois par des sensations analogues. Elles se reconstituaient avec la nuance précise qu’elles avaient eue jadis et qui les distinguait encore au milieu de toutes les banalités confuses et monotones de la vie ordinaire, mais elles se transposaient pour ainsi dire et trouvaient une expression nouvelle, presque idéale dans ce paysage de la terre de Corée.

Il s’en dégageait, en effet, une impression pénétrante de mélancolie sereine, de tendresse recueillie et pensive, d’émotion discrète, contenue, apaisée. Rien ne troublait cette tranquillité, cet assoupissement des choses, sinon, par instans, un vol de flamans rouges dont le cri effarouché traversait l’air comme parfois une réminiscence douloureuse traverse tout à coup la quiétude de l’esprit.