Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
TROIS PALAIS d’ASIE

C’est le charme véritable des voyages de fournir des cadres changeans et imprévus à nos idées, des prétextes variés à toutes les fantaisies de notre esprit, une occasion de localiser et d’évoquer dans un milieu nouveau des pensées ou des images qui ne sont qu’en nous.

Les tableaux pittoresques que l’œil perçoit se peuplent de formes que notre imagination façonne à son gré, nous nous figurons la vie du passé, nous dégageons du présent ce qu’il peut contenir d’idéal et de permanent, nous reconstituons l’atmosphère morale dans laquelle s’agitèrent les générations mortes depuis des siècles et celle que respirent les hommes d’aujourd’hui. La perception directe et immédiate des objets extérieurs ne nous les laissait connaître que superficiellement, par le dehors; mais les idées qu’ils nous suggèrent, les émotions qu’ils provoquent en nous, nous en donnent la connaissance intime et semblent nous révéler une part du mystère qu’ils renferment en eux. Le monde sensible nous apparaît ainsi transposé à notre usage, et mille visions, légères ou puissantes, flottent pour nos yeux entre les lignes du paysage, dans les rues désertes ou peuplées des villes, sous les toits des temples, des monumens ou des maisons.

Puis, lorsque le temps a passé sur nos impressions de voyage, une singulière transformation se produit parfois en elles : ceux de nos souvenirs qui proviennent de l’observation directe et qui ressuscitent