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trop tôt, il est probable qu’on verra en Tunisie dans dix ans un certain nombre de domaines ayant 4 ou 500 hectares de vignes.

Quelques personnes blâment cet entrain de nos capitalistes à créer au-delà de la Méditerranée des vignobles gigantesques. N’est-ce pas là une culture bien exclusive, singulièrement coûteuse et terriblement aléatoire? A-t-on sous la main le personnel, dans l’esprit l’expérience, qui seraient nécessaires pour réussir? Quand l’insecte ennemi jette ses avant-gardes sur divers points du littoral africain, à Philippeville notamment, si proche de la régence de l’est, n’y a-t-il point de la témérité à le défier en lui préparant, par la plantation de vignes françaises non résistantes, une abondante proie? L’exemple de l’Algérie est-il, d’ailleurs, si séduisant? La vigne y produit, sans doute, mais beaucoup moins qu’on ne l’imagine en moyenne : guère plus de 1 million d’hectolitres en 1885 pour 70,000 hectares environ, dont la moitié ou tout au moins un bon tiers peut être considéré comme en production : une quarantaine d’hectolitres à l’hectare en moyenne, voilà donc ce que semble promettre le vignoble algérien : on peut, sans doute, obtenir mieux, mais aussi moins. L’Algérie, à l’heure actuelle, après tant d’années de tâtonnemens et d’efforts, commence à peine à récolter du vin au-delà de ses besoins. Les documens officiels n’annonçaient-ils pas ces jours-ci que, dans le mois d’avril 1886, l’importation du vin avait dépassé dans notre plus ancienne possession africaine de 1,673 hectolitres l’exportation, soit 17,562 hectolitres pour la première et 15,889 pour la seconde[1]. Ne remarque-t-on pas aussi une certaine gêne parmi beaucoup de vignerons algériens ? N’est-il pas exact qu’une pétition récente adressée au gouverneur-général par le comice agricole et industriel de Souk-Ahras représente comme très précaire la situation des propriétaires de vignes de ce district et dit, entre autres choses, qu’ils doivent au moins 6 millions de francs aux banquiers tels que la Banque de l’Algérie, le Crédit foncier et agricole d’Algérie, la Compagnie algérienne, etc.? Le même document n’ajoute-t-il pas que beaucoup de vignerons succombent faute d’avances nécessaires, que des hectares de vignes ne se vendent plus que 1,500 francs chacun et que la propriété foncière perd de sa valeur tous les jours[2] ? Ces exemples ne devraient-ils pas détourner les propriétaires tunisiens de confier tout leur avenir à cet arbuste fragile et capricieux? Ne serait-il pas plus prudent, plus généreux aussi, de perfectionner simplement la culture arabe, ou

  1. Voir le deuxième numéro d’août 1886 (p. 5,174; de l’Algérie agricole, bulletin de la colonisation, publication faite par le comice agricole d’Alger.
  2. Voir la même publication, ibidem, p. 5.173.