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de faire quelques travaux publics. On a établi encore quelques minoteries, quelques huileries. Mais ces entreprises industrielles sont assez restreintes en nombre et en importance, et il est naturel qu’elles le soient. L’industrie n’est pas la première forme du développement économique d’une contrée : il faut que l’agriculture la précède. Quand la production des champs est abondante, qu’elle offre un excédent notable sur les besoins d’alimentation du pays, quand, en outre, la population est devenue assez dense, l’industrie peut apparaître avec ses usines, ses machines, toute sa mise en œuvre perfectionnée, exigeant tant de concours divers. Il est chimérique d’espérer en hâter artificiellement l’avènement. C’est donc par l’agriculture que, comme tout pays dont le territoire est fertile et très étendu relativement au nombre des habitans, la Tunisie doit commencer à renaître et à grandir. L’ancienne régence doit être d’abord une colonie agricole ; quand elle sera fort avancée sous ce rapport, dans une ou deux dizaines d’années, elle pourra devenir aussi une contrée industrielle.

Les ressources de la Tunisie pour la culture sont variées et abondantes ; les conditions sociales ne constituent aucun obstacle sérieux à la mise en valeur. Il y faut, toutefois, du temps et des capitaux, de l’intelligence et de la persévérance. Le sol tunisien, dans les diverses parties de la régence, se prête à presque toutes les productions : les céréales, l’élève du bétail, la sylviculture, l’olivier, l’oranger, la vigne, voilà pour la région du nord et du centre. Dans le sud s’y ajoute une exploitation qui, confinée d’abord dans les mains des indigènes, commence en Afrique à passer dans celles des Européens, les plantations de palmiers.

Les capitalistes de la métropole ne sont pas restés insensibles à toutes ces séductions et ces promesses. Ils avaient, en quelque sorte, devancé l’occupation française. On sait, en effet, que l’un des griefs, peut-être même le capital, qu’invoqua notre diplomatie au moment de l’expédition, ce fut le criant déni de justice qu’opposait le gouvernement du bey à la Société marseillaise qui avait acheté de Khérédine-Pacha les 130,000 hectares composant l’immense domaine de l’Enfida. Un petit juif retors et déloyal, protégé de l’Angleterre, prétendait soustraire cette immense propriété à ses acquéreurs réguliers en exerçant le droit barbare de cheffa, ou retrait vicinal, quoiqu’il ne se trouvât pas dans les conditions requises pour se prévaloir de cette coutume musulmane. La société financière qui, moyennant quelques millions, s’était approprié cet immense territoire, avait sans doute plutôt pour objet la spéculation sur la plus-value que la culture proprement dite. Néanmoins, en dehors d’elle, quelques Français, de situation modeste, aimant