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flattaient qu’elle posséderait bientôt. Le progrès y serait lent; quelques-uns même prétendent qu’il serait complètement arrêté, et il en est qui vont jusqu’à dire que, au lieu d’avancer, la colonisation reculerait. Les terrains qui, à Tunis et auprès de Bizerte, avaient, au lendemain de l’occupation, décuplé de valeur, n’en gagneraient plus aujourd’hui ou même en perdraient. Les réformes jusqu’ici effectuées, la conversion de la dette tunisienne, la suppression des capitulations, seraient insuffisantes. La loi immobilière nouvelle, l’une des plus perfectionnées que connaisse le monde entier, ne serait encore qu’une vaine formule théorique, qui attendrait la consécration de l’application. Les impôts seraient mal assis, trop nombreux, trop touffus ; il les faudrait tous transformer. Le commerce extérieur serait entravé par des droits extravagans et absurdes. Les faillites augmenteraient en nombre ; l’excédent de l’importation sur l’exportation deviendrait considérable et menacerait la colonie de ruine. L’administration française, embarrassée par sa timidité et son goût pour les ménagemens, laisserait prédominer l’élément étranger. Bref, la colonisation serait dans une mauvaise voie. Certains esprits absolus iraient jusqu’à jeter un œil d’envie sur l’Algérie et regretteraient presque le régime des commissaires civils ou des bureaux arabes, des expropriations de terres, des concessions, des créations officielles de centres ou de villages, du code de l’indigénat et de toutes ces belles institutions qui ont été mêlées à la croissance de l’Algérie comme, dans une terre mal cultivée, le chiendent et les mauvaises herbes s’attachent aux racines des plantes utiles. Il se forme, à Tunis, un petit parti de l’annexion à l’Algérie. Sans aller aussi loin, la chambre de commerce de Tunis a adressé au résident général français, M. Cambon, depuis un an, diverses communications où elle demande des changemens essentiels dans l’organisation commerciale et fiscale de la contrée. Elle vient encore de publier un Exposé de la situation économique de la régence de Tunis, qui contient ses griefs et ses vœux.

Dans toutes les contrées, les colons sont impatiens. Ceux qui s’expatrient ou qui placent au loin leurs capitaux ont, en général, un esprit d’aventure qui apprécie mal les obstacles et s’en irrite. Les colons ressemblent aux adolescens ou aux jeunes gens qui, connaissant encore imparfaitement le monde, croient qu’ils n’ont qu’à marcher droit devant eux pour arriver promptement au but. Qu’il convienne parfois de faire des détours, de s’arrêter même et de réfléchir, cela n’entre ni dans leurs idées, ni dans leurs plans. La moindre déconvenue leur paraît venir du mauvais vouloir d’autrui. Il y a, dans les plaintes des Français résidant à Tunis, les traces de cette disposition de caractère. Il s’y trouve néanmoins