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d’hommage-lige à la cité comtale qui a poussé un bon nombre de catalanistes à contracter alliance avec les nouveaux troubadours du Languedoc et de la Provence ? La question n’a point grande importance, en somme, mais elle est curieuse. Si les Provençaux ont manœuvré en habiles diplomates pour gagner leurs voisins; en revanche, ceux-ci ont fait preuve d’une légèreté qui frise l’imprudence. On peut s’étonner que les puritains du catalanisme, sous prétexte de confraternité latine, se soient laissé enrôler dans une croisade inoffensive à la vérité, mais évidemment tournée vers la réaction. On peut leur demander ce qu’ils faisaient au pied de la grande croix érigée en Provence au sommet du mont de la Victoire, à l’endroit même où Marius planta son trophée, après la défaite des Teutons et des Cimbres. Allaient-ils s’associer à la célébration du triomphe de la Romanie sur la Germanie, comme disent les romanistes? Qu’allaient-ils faire à la bruyante fête du centenaire de Pétrarque, où la glorification du platonique amant de Laure ne servit, en réalité, qu’à glorifier les habiles organisateurs de cette foire aux vanités? Que faisaient-ils dans ces banquets retentissans, où la coupe catalane et la coupe provençale, se croisant, inspirèrent tant de toasts d’une exubérance un peu folle? Pourquoi tant d’empressement à se produire en vers et en prose dans cette Revue des langues romanes, qui a mérité d’être appelée le moniteur des patois du midi et le bureau central de la poésie patoise ? Est-ce que les trois recueils du Gay sçavoir, de la Renaissance et de l’Illustration ne suffisent plus à leur verve intarissable, sans compter les almanachs? Qu’avaient-ils besoin d’assister officiellement à l’inauguration du monument commémoratif de la bataille de Muret? Comment expliquer de pareilles inconséquences de la part des purs et des intransigeans du catalanisme? Serait-il vrai, comme le déclare en termes précis un publiciste catalan qui a gardé l’anonyme et qui a dit sous le masque, non sans amertume, les plus dures, les plus cruelles vérités à ses compatriotes, serait-il vrai qu’il y eût, vers la fin du second empire, des projets d’annexion à la France et des négociations ayant pour but d’étendre la frontière française jusqu’à l’Èbre? Peut-être que ce remaniement du traité des Pyrénées a été plutôt rêvé que conçu ; mais on sait jusqu’où peut s’emporter le fanatisme provincial et l’hispanophobie. On peut s’attendre à tout des écervelés qui ont mis au concours et couronné avec grand fracas la Chanson latine, une sorte de Marseillaise des peuples latins, moins unis que jamais.

Le résultat final de tous ces complimens mutuels, de tous ces échanges de fleurs et de lauriers, de toutes ces embrassades cordiales, de toutes ces agapes pantagruéliques, où la poésie débordait et ruisselait comme le vin, on le connaît. La maintenance de Catalogne, classée entre celles de Provence et de Languedoc, n’a pas eu sujet de s’applaudir