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principaux partis, sans tenir compte des nuances. Point d’unité, point d’union, point de tendances communes, aucune entente ; par conséquent, point de force réelle. En un jour de crise, ce serait l’anarchie.


Comment une littérature pourrait-elle naître viable, croître et se développer en un pareil milieu et dans de telles conditions ? Il y faudrait un concours de volontés, d’aspirations, de sympathies dont il est impossible de discerner les germes. Les théoriciens purs, les idéalistes qui espéraient que le rétablissement des jeux floraux pourrait servir à régénérer la langue et les lettres catalanes, n’ont pu s’entendre sur les voies et moyens. Les uns tiennent pour l’archaïsme, les autres pour le néologisme, et les éclectiques, pour un système mixte qui ne satisfait personne. C’est ainsi que la discorde s’est glissée dans le camp académique, parmi ces hommes graves et sérieux qui ont blanchi dans les archives, les bibliothèques, les chaires du haut enseignement, bref dans les asiles des lettres, et qui avec tout leur mérite n’ont pu fonder la république littéraire qui devait réconcilier tous les partis. Mainteneurs des jeux floraux restaurés, maîtres en gay sçavoir, lauréats des concours annuels, poètes et prosateurs, journalistes et publicistes, catalanistes de toutes nuances, mécréans et dévots, forment un orchestre discordant, un concert cacophonique, où dominent les sous aigus et les notes criardes.

Le malheur ne serait pas sans compensation, si de ce charivari sans précédent dans l’histoire littéraire était sorti un vigoureux satirique ou seulement un bon critique, pour rappeler tous ces instrumentistes au diapason et à la mesure. Il y a là une place à prendre, et c’est peut-être la seule qui ne soit pas prise. Encore n’est-il pas bien sûr que la satire et la critique puissent réparer le mal qui a été fait. Voilà qui explique assez bien et l’avortement prématuré de la renaissance catalane, et l’énorme compilation du consciencieux M. Tubino. Le moyen d’écrire une partition raisonnable au milieu de ce vacarme littéraire, de ce débordement de vanités et de préjugés contradictoires? On a beau être membre de l’Académie des beaux-arts, il n’y a point d’art capable de dominer ce désordre, ni de fiat lux qui puisse débrouiller ce chaos. Si l’histoire se souvient de cette épidémie singulière, qui dure depuis plus de quarante ans, avec des rémissions et des paroxysmes, elle dira sans doute que les Catalans ont failli compromettre leur solide réputation de bon sens et d’esprit pratique, en persévérant avec une obstination malheureuse dans une entreprise sans cause comme sans issue, injustifiable pour mieux dire, intempestive et déraisonnable. Car, enfin, de quoi s’agit-il pour les paladins désunis de cette nouvelle