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l’auteur (1547). La Chronique de Pierre IV s’ouvre par une profession de foi irréprochable au point de vue de l’orthodoxie, mais plus convenable à un théologien scolastique qu’à un roi couronné. Plus franche est l’allure, et plus ronde la forme de Carbonell, dont la Chronique d’Espagne, des rois goths, des comtes de Barcelone et des princes d’Aragon, fut commencée, selon son propre témoignage, le 19 du mois de mai de l’an 1495, et poursuivie avec l’autorisation royale par lettres-patentes fidèlement reproduites. Cet historiographe est un critique qui remonte aux sources, une sorte de réformateur dont l’esprit juste et net s’éclaire des conseils d’un ecclésiastique instruit et judicieux, Jérôme Pau, son cousin, haut dignitaire de la cathédrale de Barcelone et camérier du pape Alexandre IV, digne en tout de servir de guide au consciencieux chroniqueur. Au moment où écrivait Carbonell, la langue catalane commençait à subir un arrêt de développement.


Au rebours des autres idiomes novo-latins, qui se retrempaient dans le courant de la renaissance classique, le catalan reste dès lors stationnaire, et la force régénératrice de l’antiquité ne peut lui rendre sa vitalité compromise par deux événemens politiques d’une extrême gravité : l’acte légal, mais inique, qui priva de la couronne d’Aragon l’héritier légitime, Jacques, comte d’Urgell, au profit de don Fernando de Antequera, prince de la maison de Castille ; et, plus tard, la mort prématurée et mystérieuse de l’infortuné prince de Viana, adoré des Catalans, qui comptaient sur lui pour conserver leur indépendance et leur autonomie menacées par la prépondérance castillane. Tout espoir s’évanouit le jour où Ferdinand d’Aragon épousa la reine de Castille, Isabelle la Catholique. Depuis lors, le génie castillan ne cessa de prévaloir sur le génie catalan. La découverte de l’Amérique acheva la déchéance de Barcelone, que ses comtes avaient couronnée comme une reine, et qui était de fait la capitale d’un royaume florissant. La Catalogne respira sous le glorieux et prodigue Charles-Quint. Moins maltraitée que l’Aragon par Philippe II, mais atteinte dans ses libertés, elle secoua le joug sous ses tristes successeurs, et finit par se donner à la France. Mécontente de ses nouveaux maîtres, elle opta pour la dynastie autrichienne lors de la longue guerre de la succession d’Espagne, et fut traitée en peuple conquis par le premier roi de la famille des Bourbons. La proscription du catalan dans les actes officiels équivalait à la déchéance. Les écrivains catalans gardèrent le silence ; quelques-uns adoptèrent le castillan, langue étrangère malgré le voisinage, et non encore acclimatée parmi le peuple, toujours réfractaire à son invasion. Dans l’histoire littéraire du XVIIIe siècle, la Catalogne tient une place plus que modeste, malgré la fondation d’une Académie