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feraient bien mieux d’extraire du gros in-folio manuscrit du roi cérémonieux un bon traité de l’étiquette de la cour d’Aragon, dans le genre de celui que M. Rodriguez Vila a donné sur le cérémonial de la maison royale d’Espagne sous la dynastie autrichienne. Ce qui vaudrait mieux encore, ce serait de publier en entier ce curieux et précieux monument des lettres catalanes au XIVe siècle, avec un bon commentaire historique sur le texte et une étude à fond sur l’auteur. Il y a là de quoi tenter les savans hommes qui croient à la renaissance catalane par l’exhumation du passé, tels que Mariano Aguiló et Antonio de Bofarull, si profondément versés dans la connaissance des vieux livres et des manuscrits conservés dans les archives et les bibliothèques. Pierre IV mériterait de revivre dans cette singulière compilation, où il allègue fréquemment les textes sacrés. Figure étrange plutôt que grande et aimable, il est peut-être le plus original de ces rois lettrés d’Aragon, très orthodoxes depuis Muret, mais peut-être plus dévots que dévoués à l’église, qui les tenait en suspicion et défiance. Bel esprit très cultivé, poète à ses heures, fin diplomate, très jaloux de ses prérogatives, ayant de la majesté royale une idée qui rappelle l’autolâtrie de Louis XIV, le monarque au petit poignard, comme on l’appelle encore en Catalogne, moralise sentencieusement et sur les droits de la royauté sur les lois, et sur les obligations des sujets, comme pourrait le faire un jurisconsulte doublé d’un théologien, non sans une pointe d’affectation et de pédantisme. Il cite l’Écriture en latin, et l’on ne peut se défendre en le lisant de le comparer à ce roi controversiste qui mérita d’être surnommé maître Jacques. Les rois d’Aragon, comtes de Barcelone, vivaient au mieux avec le pape : leur orthodoxie fut récompensée par des titres qui ne signifiaient rien, et par le privilège de se faire sacrer dans l’église métropolitaine de Saragosse par le primat du royaume. Dans le cérémonial du sacre, il est recommandé au roi de prendre lui-même sur l’autel la couronne, le sceptre, le globe et le glaive, et de ne point recevoir ces insignes royaux des mains de l’archevêque, réduit au simple rôle d’officiant. Dans le couronnement de la reine, c’était le roi qui imposait la couronne.

Ce monarque lettré aimait à écrire : l’histoire de son règne, digne de celui qui l’a écrite, fut publiée pour la première fois dans la Chronique de P.-M. Carbonnell, savant archiviste de la couronne d’Aragon et l’un des plus doctes historiens de la Catalogne[1]. Cet ouvrage remarquable ne parut qu’une trentaine d’années après la mort de

  1. Un exemplaire de la Chronique de P.-M. Carbonell, revue, corrigée, annotée par le grand annaliste d’Aragon, Gerónimo Zurita, existe au fonds de réserve de la Bibliothèque nationale. La Chronique de Pierre IV d’Aragon est littéralement couverte de notes précieuses et d’heureuses corrections.