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en Navarre, en Castille, et avant et surtout après Muret. Ce désastre eut lieu un an après la mémorable victoire de las Navas de Tolosa (1212), qui brisa les reins à l’islamisme.

Si les vers des troubadours trouvaient des admirateurs et des imitateurs en grand nombre parmi les lettrés et les courtisans, le peuple restait sourd aux accens de la muse lémosine, et pour cause : cette muse parlait une langue que le peuple n’entendait point. Comment serait-elle devenue populaire ? Les catalanistes, — c’est ainsi que s’appellent les admirateurs passionnés de l’histoire et de la littérature catalanes, — les catalanistes se persuadent volontiers que le catalan fut au moyen âge un idiome parfait, très répandu, conquérant et dominant. Ils sont très enclins à reconnaître, à proclamer même l’universalité et la suprématie du parler national. Pure fantaisie d’une imagination exaltée par un patriotisme rétrospectif qui se complaît à évoquer un passé glorieux à la vérité, mais singulièrement dénaturé par des préjugés de race ou d’école. Malgré la prodigieuse fortune des comtes de Barcelone, devenus rois d’Aragon, ni cette province ni la Navarre ne firent accueil au catalan, bien que soumises longtemps avec la Catalogne au même sceptre. Toutes les conquêtes des rois d’Aragon ne purent conquérir à la langue catalane qu’une partie de l’ancien royaume de Valence et les deux groupes des Baléares. Encore convient-il de remarquer que le pur catalan ne dépassa point les limites de la Catalogne proprement dite. Ni l’Italie méridionale, ni la Sicile, ni la Sardaigne, ni la Corse, conquises successivement, ne conservèrent la langue des conquérans ; pour deux raisons : d’abord la durée de la conquête ne fut pas assez longue pour permettre l’acclimatation ; en second lieu, les conquérans de ces contrées méditerranéennes étaient les uns Catalans, les autres Aragonais; et l’aragonais prévalut sur le catalan lorsque la dynastie catalane des rois d’Aragon fut supplantée par la lignée de Castille. L’histoire consultée répond que la langue des comtes de Barcelone, au moment même où la conquête reculait le domaine de la couronne d’Aragon, perdait son ascendant, dominée d’un côté par le castillan qui montait du centre vers le nord de l’Espagne, et de l’autre par l’italien, qui devenait un idiome national, après avoir subi l’influence souveraine des langues d’oïl et d’oc. Conquises par Jacques Ier et Alphonse II d’Aragon, au XIIIe siècle, les îles Baléares sont catalanes de mœurs et de langage, avec des nuances très marquées qui s’expliquent par l’isolement ; tandis que les conquêtes instables des grandes îles italiennes et du royaume de Naples s’opèrent à une époque où la Castille et l’Italie, par un heureux concours de circonstances, l’emportent sur le génie de la Catalogne. Si cette