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malgré de notables divergences; mais ils n’entendront point la langue catalane, pas plus que le Catalan n’entendra ces patois qui tendent à se fondre dans une unité factice. Il est permis de conclure de ce fait, que l’alliance littéraire entre Languedociens et Catalans n’ira point jusqu’à la fusion; mais elle pourrait aller jusqu’à la confusion la plus fâcheuse si, sous prétexte de confraternité et d’autonomie, les patois de la langue d’oc parvenaient à se régénérer assez pour imposer à l’idiome catalan une sorte de suprématie. Une pareille hégémonie, si elle était reconnue et acceptée, aurait pour effet inévitable de transformer bientôt le catalan, déjà si compromis, en véritable patois : ce serait la mort à courte échéance. En attendant la fédération des races latines, on aurait toujours l’union des patois novo-latins, et comme une suite de la revanche de Muret. Au dire des promoteurs de la fête commémorative de cette journée néfaste, célébrée le 12 octobre 1874, sous les auspices de la maintenance d’Aquitaine, le désastre de Muret délivra les régions méridionales de la France de la prépondérance de l’Aragon. Si les morts s’inquiétaient des vivans, il y a grande apparence que cette cérémonie singulière réjouirait Simon de Montfort, le vainqueur du comte de Toulouse et de son allié Pierre II d’Aragon, qui périt dans la bataille. En un temps où l’opinion publique glorifie les vaincus, cette réminiscence du Vœ victis pourrait passer pour un anachronisme. La maintenance des jeux floraux de Barcelone aurait pu s’offenser d’une telle commémoration.


Voilà de bien graves réflexions à propos de patois et d’un idiome qui y ressemble fort. Mais comment ne pas les faire en un sujet dont l’étude tant soit peu attentive soulève la question latine, autrement sérieuse que la question du latin? Peut-on toucher aux langues sans toucher aux nationalités? Qui ne sait qu’aujourd’hui, pour démarquer un peuple, une race, il est d’usage de proscrire sa langue? c’est ainsi du moins qu’on procède et à Saint-Pétersbourg et à Berlin. Point n’est besoin de rappeler que des deux côtés des Pyrénées le catalan fut interdit, il y a près de deux siècles, dans les actes officiels. Pareille interdiction équivaut à une déclaration de déchéance : l’expérience enseigne que les idiomes décrétés d’incapacité politique et civile ne vivent que d’une vie précaire, quand même ils survivent à l’interdit qui les retranche des langues pourvues d’un état civil. Les pièces démonétisées peuvent du moins rentrer en circulation par la mesure extrême du cours forcé; tandis qu’un idiome atteint dans son autonomie tend forcément à disparaît. L’inflexible loi de Darwin n’épargne pas plus les langues que les êtres vivans; et, dans l’espèce, il n’y a point de transformation compensatrice,