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la plus basse catégorie de l’impôt mobilier paie 1, la plus haute paie 4. En tenant compte de l’impôt communal, on arrive, paraît-il, à cette conséquence, que le contribuable de la catégorie la plus riche devra au fisc plus du cinquième de son revenu ! Aussi un certain nombre de familles riches et de grands industriels parlaient-ils d’émigrer : en tout cas, on ne se hasarde guère à prédire que les effets d’une pareille loi ne peuvent qu’être des plus funestes.

La décision avec laquelle M. Léon Say repousse tous ces systèmes de taxation s’explique tout autrement que par un esprit antipathique aux réformes : il en signale plusieurs, outre la plus grande de toutes, qui serait l’économie dans les dépenses, irréalisable si l’on se laisse aller aux conseils de la démocratie avancée. La pensée qui anime ces études est celle de défendre les vérités économiques, les principes du droit moderne, les vrais intérêts des classes populaires, et de préserver notre pays de redoutables expériences. L’auteur estime que les projets d’impôts, dits démocratiques, abandonnent de plus en plus la vieille formule de l’impôt unique et la guerre pour ainsi dire classique des taxes indirectes et directes pour celle de l’impôt sur les riches. Il y a des raisons générales de combattre ces systèmes financiers, et M. Say les a développées avec beaucoup de force ; mais il ne dissimule pas qu’il y a en quelque sorte des motifs tout français, dans un pays de logique et de révolution, où les mêmes mots n’ont pas toujours la même signification qu’à l’étranger, et où ils prennent facilement une portée plus étendue et plus menaçante. « Il y a, dit-il, et nous tenons à citer textuellement cette phrase, une raison politique qui domine toutes les autres et qui doit nous porter à refuser d’entreprendre en ce moment une réforme financière dont l’objet serait de transformer les impôts directs existans en cédules anglaises ou italiennes, ou en impôts de quotité sur le revenu général des citoyens : c’est que, dans un pays comme la France, alors que les idées sont aussi profondément troublées qu’elles le sont en ce moment, on ne peut envisager sans crainte l’établissement de ce que les Florentins et les Suisses ont appelé le cadastre de la fortune. »

C’est là un sensé et ferme langage. On ne peut se dissimuler que L’homme d’état économiste qui le tient ne prévoie les luttes prochaines, — et peut-être décisives, — de la démocratie libérale et de la démocratie socialiste. En tout cas, voilà longtemps que cette lutte s’annonce. La lecture du livre de M. Léon Say nous a fait nous reporter vers une lutte pareille, souvenir un peu oublié, mais bien significatif. C’était en 1833. La guerre des idées et des tendances éclatait entre les deux démocraties, nous pouvons