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soi-même un mendiant, un paria! En réalité, cette masse ne devait rien y perdre. Moins accablée par les taxes que dans le passé, on la vue s’élever par le travail libre à la possession des terres et des capitaux ; on a vu ceux-là mêmes qui restaient dans les rangs du travail manuel accroître leurs salaires, et, malgré trop de misères subsistantes, les conditions de la vie s’améliorer sensiblement. Si l’impôt ne fut pas lui-même sans révéler des imperfections, elles n’accusaient aucune injuste volonté du législateur de favoriser les uns aux dépens des autres, et des esprits éclairés, animés des meilleures intentions, pouvaient songer à les corriger sans mettre en cause les principes sur lesquels repose notre système d’impôts lui-même. On était assez généralement d’accord que ce système était en somme l’œuvre d’une démocratie sensée et libérale. On croyait que la société française n’avait, en l’améliorant successivement, qu’à persévérer dans la même voie.

Mais, personne ne l’ignore, — car la question des impôts n’est qu’une des faces du problème qui se pose, je dirais plus volontiers selon ma pensée, qu’on nous pose sous tant de formes, — cette interprétation ne satisfait pas tout le monde. Justice, égalité, humanité, n’ont pas le même sens pour tous. Ce qui nous paraissait démocratie n’est pour d’autres qu’une oppressive aristocratie, une oligarchie bourgeoise. Quelques axiomes économiques et juridiques dont la société se croyait en possession sur le capital, la propriété, la proportionnalité de l’impôt, ont aux yeux d’un assez grand nombre perdu leur valeur. Des réformes qu’on débattait en elles-mêmes et pour elles, ne semblent plus être un but, mais un moyen. L’impôt est pour certaines opinions radicales une arme de précision avec laquelle elles visent le capital. D’autres veulent seulement y pratiquer une saignée plus ou moins large. Les systèmes s’échelonnent comme les degrés de la démocratie dite avancée, mais tous, qui plus, qui moins, obéissent à une idée de nivellement; très consciente chez les uns, elle l’est moins chez les autres, mais n’a-t-on pas dit qu’on ne va jamais plus loin que quand on ne sait pas où l’on va?

Il faudrait d’abord que notre démocratie se fît une idée nette et juste de l’impôt. Cette idée est étroitement subordonnée à celle qu’on se forme de l’état. Pour les économistes, l’état a une mission restreinte. Il est avant tout le gardien de la sécurité. Ceux même qui lui confient d’autres attributions ou fonctions s’appliquent sévèrement à en limiter le nombre et la portée. Il s’ensuit que l’impôt trouve aussi ses limites dans cette définition. Dans la doctrine opposée, l’impôt est un beaucoup plus grand personnage. Aussi bien que l’état lui-même, il a toutes qualités et il est bon à tout faire. C’est un philosophe politique, qui professe une doctrine.