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chassepots sont au service du pouvoir temporel, il faut sur-le-champ que la France somme l’Italie de restituer au saint-père Ancône et Bologne : ou le maintien du pape ou la chute de l’Italie.» M. de Riancey, dans l’Union, allait encore plus loin : «Il faut que la leçon nous profite, s’écriait-il. La France a dans l’Italie une ennemie aujourd’hui peu redoutable, mais venimeuse. Seule, elle est impuissante, qu’on ne lui laisse pas le temps de devenir dangereuse par ses intrigues et par ses marchés avec nos rivaux. »

A l’heure même où le jamais du ministre d’état, comme un Quos ego, retentissait au corps législatif, le général Menabrea, par un étrange contraste, affirmait les droits de l’Italie sur Rome au parlement de Florence.

Le contre-coup des déclarations parties de la tribune française n’en fut que plus vif au-delà des Alpes. L’Italie fut étourdie, atterrée par les imprécations que sa politique avait soulevées au Palais-Bourbon ; elle était loin de s’attendre à des injonctions aussi catégoriques; elle y vit, à juste titre, une menace pour ses destinées; elle ne les releva pas sur l’heure ; elle comprima son émotion ; elle sut dompter ses colères ; la domination étrangère lui avait enseigné la prudence, l’art de dissimuler ses ressentimens; elle savait ronger son frein et guetter la vengeance. Ses hommes politiques lui prêchèrent le silence, le recueillement. Ils estimaient qu’il fallait laisser passer l’orage et non provoquer la foudre. Ils savaient qu’en France les tempêtes se déchaînent et s’apaisent avec une égale rapidité, que les haines et les amours n’y ont pas de lendemain. Ils comptaient, avant tout, sur Napoléon III, persuadés qu’il réagirait contre les doctrines de M. Thiers. Ils n’avaient pas tort ; déjà le cabinet de Florence avait appris que l’empereur était sincèrement affligé et le prince Napoléon profondément courroucé des blessures faites aux sentimens italiens dans la séance tumultueuse du 5 décembre. L’Italie n’avait plus rien à craindre, elle était débarrassée de la conférence, elle n’était plus qu’en face des Tuileries, et elle savait s’y prendre pour les paralyser. Le parlement de Florence pouvait sans crainte relever le gant, prendre sa revanche et protester contre le veto si violemment notifié aux aspirations italiennes. M. Sella donna le signal de la résistance à la politique française, il demanda qu’on répondît au jamais du ministre d’état par le renouvellement solennel du vote du 27 mars 1861, qui proclamait « Rome capitale. » La motion était puérile, car elle était dépourvue de sanction ; elle fut repoussée, combattue par le ministère, mais, formulée à la tribune et bruyamment applaudie, elle n’était pas moins un défi jeté à la France.

Rome, qui à vrai dire n’avait été pour l’Italie qu’une affaire