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qu’avec de pareilles idées on désarmait notre politique, on déchirait notre histoire, et que c’était de la duperie, de la sottise de laisser faire ce qui était contraire à nos intérêts. « Nous n’avons plus de politique, s’écriait-il, nous en avions une mauvaise, il est vrai, lorsque nous nous faisions les propagateurs des idées fausses des nationalités qui nous ont mis dans la situation où nous sommes ; maintenant nous n’en avons plus. On parle d’une conférence; mais, avant de se réunir, l’Europe entière vous demande : Que voulez-vous? Nous avons tous les droits vis-à-vis de l’Italie, ajoutait M. Thiers : Nous l’avons faite, nous lui avons permis de renverser les princes italiens, nous n’avons fait de réserve que pour un seul, et nous en avions le droit. Je ne vous dis pas qu’il faut détruire l’unité italienne, non ; la faute est commise ; mais, confiant dans la puissance de la franchise, je dirais à l’Italie : Dans aucun cas, je ne vous abandonnerai le pape. Vous n’aurez Rome dans aucun cas, ni par les moyens moraux ni par les moyens immoraux. J’ai compromis mes intérêts en vous permettant de vous unir à la Prusse, je vous ai permis de douter de ma loyauté en vous livrant les états italiens, je ne peux pas vous livrer ma considération politique. »

Avant de descendre de la tribune, M. Thiers, dans une écrasante et pathétique péroraison, dressait le bilan de la politique extérieure de l’empire ; il la montrait en rupture avec les traditions de notre histoire, compromettant le drapeau de la France et sacrifiant les intérêts qu’elle aurait dû défendre. « Nous avons retiré nos troupes du Mexique, disait-il, nous laissons consommer en Allemagne une révolution redoutable contre nous, et aujourd’hui nous abandonnons à l’Italie l’état pontifical. Quoi! la France si puissante, si fière, abandonnerait ainsi toutes les positions que son honneur lui commande de conserver ! »

Le gouvernement de l’empereur avait conscience de ses erreurs. Les difficultés dans lesquelles il se débattait, après de fugitives années de prépondérance, ne lui montraient que trop les conséquences de la politique des nationalités : ses blessures étaient saignantes, et M. Thiers les mettait à nu pour les envenimer. Il l’accablait de ses sarcasmes et lui demandait un acte de suicide en le poussant indirectement à défaire l’Italie, qui était son œuvre de prédilection. Il irritait les passions et provoquait le gouvernement à des déclarations irréfléchies. Sans doute, il était dans son droit; ses reproches étaient fondées et ses argumens pour la plupart irréfutables, mais était-ce l’heure de soulever des tempêtes et d’attiser les haines au-delà des Alpes? Était-il sage de provoquer l’Allemagne et l’Italie et d’affaiblir en même temps le pouvoir ? Était-il logique de signaler le danger et de refuser au gouvernement le moyen d’y parer? « Il faut servir son pays en comptant avec les circonstances, disait un jour le